Eh Thwa : un avenir birman

Rencontre avec une Karen qui vit en Thaïlande mais qui n’a pas abandonné les siens. Une femme engagée qui a créé un réseau d’écoles communautaires informelles de l’autre côté de la frontière, en Birmanie, pour garantir aux enfants Karen l’accès à l’école malgré la guerre civile.

Texte et photos : Antoine Besson

Il est 8 heures, un homme se présente à l’entrée d’une petite ruelle de Mae Sot, en bordure d’une large route à six voies. Eh Thwa, sort de la pénombre et rejoint son chauffeur du jour, un ami dévoué qui a accepté de l’emmener à la frontière birmane. Dans le Nord de la Thaïlande, une rivière sépare les deux pays. Le long de cette rivière, les camps de réfugiés karen se sont multipliés ces dernières décennies, alimentés par des flux migratoires ininterrompus de 1949 à 2012. Persécutés par la junte birmane, les Karen fuyaient massivement leurs terres et les conflits armés pour trouver la protection des Nations unies.

L’engagement en héritage

Au milieu de toute cette agitation politique, Eh Thwa, 44 ans, fait son chemin et préfère les actes aux paroles. Depuis 2001, cette Karen consacre tout son temps libre et son énergie à créer et financer de petites écoles communautaires au sein des villages karen que le gouvernement central a délaissés. « À l’époque, beaucoup d’enfants fuyaient la guerre et trouvaient refuge dans la forêt. Parfois même y vivaient-ils, explique-t-elle simplement pour justifier son action. Il n’y avait rien pour eux dans cet environnement hostile. Il fallait bien que quelqu’un fasse quelque chose. »

De l’autre côté de la rivière

Une grande barque de métal rouillé l’attend pour la faire entrer illégalement en Birmanie. Sur la rive opposée, le village de Myawaddy accueille l’une des trente-trois écoles qu’a montées Eh Thwa depuis 2001. En tout, ce sont plus de trois mille enfants qui peuvent être scolarisés grâce à son réseau de cent quatre-vingts professeurs disséminés à travers tout l’ancien État karen. Sur le ponton côté birman, deux chefs du KNA (l’armée nationale karen) l’accueillent. En chemin vers l’école, Eh Thwa s’arrête, discrètement ramasse une fleur et la glisse dans ses cheveux.

©Antoine Besson

Plus de trois cents enfants sont rassemblés pour accueillir celle qui a créé leur école là où personne ne voulait aller. Ils viennent de toute la région pour apprendre. Ils chantent tous en birman, puis en karen. Même en anglais !

« Aujourd’hui, nous ne payons plus que six professeurs sur les treize que compte l’école. Les autres sont pris en charge par le gouvernement. » C’est une petite victoire pour la responsable de toutes ces écoles informelles. Le signe d’une reconnaissance de son travail. Le gouvernement a officialisé l’une de ces écoles et travaille conjointement avec elle. Les temps changent.

Le vrai pouvoir des femmes

Pour autant, les relations avec les autorités ne sont pas toujours simples.

« Souvent, les chefs des différentes factions sont en représentation devant la communauté.  L’important c’est de prétendre avoir le pouvoir. Si tout le monde est convaincu que vous avez le pouvoir, vous pouvez l’exercer réellement. Parfois ils se méfient de moi car ils savent que celui qui contrôle l’éducation a le vrai pouvoir. Mais comme je suis une femme, le risque est moindre et ils m’acceptent. » Cette vision machiste ne dérange pas la pragmatique et réaliste Eh Thwa. « Je ne suis pas particulièrement engagée sur les questions de genre. Je crois que l’égalité est la solution mais plutôt que de débattre des droits des femmes, montrons ce que, nous autres femmes, nous pouvons faire ! » Cohérente, Eh Thwa a la même réaction face aux critiques à l’encontre du gouvernement central birman : « Plutôt que de critiquer la méthode répétitive du par cœur, montrons qu’une autre méthode est possible. »

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Des besoins toujours  plus grands

Pour la suite, Eh Thwa sait parfaitement où elle va. « Aujourd’hui, le terrain est de plus en plus accessible. Je voudrais en profiter pour développer une action davantage centrée sur l’enfant et ses besoins. Mesurer l’impact de mes écoles et offrir des débouchés aux diplômés en mettant en place des petites cliniques et des formations professionnelles d’infirmières dans les villages par exemple. »

©Antoine Besson

 

 

Autre inquiétude d’Eh Thwa, les mines. « Avant de pouvoir quitter les camps et retourner vivre en Birmanie, il faut déminer les terres piégées pendant la guerre. L’armée karen opère en ce moment sur des programmes de déminage mais cela fait beaucoup de blessés et d’amputés. » Eh Thwa met donc en place des ateliers de prothèses pour aider les victimes des explosions de mines à retrouver un semblant d’autonomie.

 

 

Le goût des choses simples

La visite de l’école est terminée. Eh Thwa semble ravie. Elle rit et cache ses dents d’un geste pudique typiquement thaï. Elle trouve sa motivation dans de petites choses toutes simples : la beauté de la nature qui l’entoure et le regard des enfants qu’elle aide. « Tu as remarqué glisse-t-elle, les enfants m’ont appelée tante et non pas professeur ! » Elle reprend en guise de conclusion : « Ici je suis utile. J’exerce mon talent au service des miens. C’est tout ce que je souhaite. Et tant qu’il y aura des enfants qui n’ont pas la chance d’étudier alors qu’ils sont intelligents, je serai là !

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