Retour à chaud : Mission en Birmanie

Je n’ai pu me rendre qu’à Yangon pour des raisons de sécurité mais j’ai pu rencontrer plus du tiers des responsables de programmes de parrainage.

Anne Monmoton est responsable Birmanie chez Enfants du Mékong depuis 12 ans. 

Anne, tu as pu retourner en Birmanie pour la première fois depuis la crise du Covid et le début de la guerre civile. Quelles ont été tes impressions ?

J’ai été surprise de la mobilisation des responsables de programmes et de leur capacité d’action ; les birmans ont une capacité de résilience et de faire face aux situations difficiles assez incroyable. Je n’ai pu me rendre qu’à Yangon pour des raisons de sécurité mais j’ai pu rencontrer plus du tiers des responsables qui sont venus à Yangon pour me rencontrer, parler de leur programme, de leur situation. La plupart de ceux que j’ai rencontré sont toujours parfaitement en lien avec les jeunes parrainés et continuent de les suivre, bien que beaucoup soient dispersés dans leurs villages ou dans des camps de déplacés suite aux bombardements de leurs villages.

Comme association extérieure œuvrant en Birmanie, j’étais la première permanente à revenir sur place. Les volontaires français sont en effet partis rapidement au moment du début du Covid en mars 2020 et personne n’était revenu depuis. Cela les a beaucoup touché. Ils ont vu que concrètement, on continue de les soutenir et qu’on ne les abandonne pas à leur sort.

La situation du pays

Quelques mots rapides sur la situation : est-ce que les combats continuent ? Les familles sont-elles en sécurité ?

Les familles sont plus ou moins en sécurité aujourd’hui mais dans des conditions extrêmement précaires. Beaucoup sont en camps de déplacés internes ou bien dans des villages très excentrés (par exemple dans les Chin Hills au nord-ouest) que les militaires birmans n’ont pas pu encore rejoindre. Celles-là sont plutôt bien loties. D’autres sont dans la jungle, dans les campagnes et survivent comme elles peuvent. Elles reviennent dans leurs maisons dès qu’elles le peuvent. Mais c’est risqué, car les militaires sont aux alentours et traquent toute personne pouvant aider d’une manière ou d’une autre les groupes de défense populaires constitués de civils. Donc le moindre fait ou geste peut être interprété comme acte de résistance. La population vit dans la peur d’être soupçonnée et arrêtée. Ils sont en hyper vigilance, ne sachant pas ce qui peut se passer. Certains responsables vivant dans des zones très touchées par les combats vivent avec un sac d’affaires personnelles, prêts à partir à tout moment pour se mettre à l’abri. Ils reviendront subrepticement dès que la situation le leur permettra. Quoi qu’il en soit, ils sont toujours sur le qui-vive dans un état de stress permanent.

La situation dans les grandes villes, notamment Yangon, est différente. Malgré des attentats quotidiens, les gens sont globalement en sécurité. Cela n’empêche pas les personnes d’avoir peur de ce qui peut arriver car les militaires et les policiers patrouillent en permanence et vivent dans l’impunité. Ce sont eux qui font la loi.

L'action de notre association

L’action d’EdM s’est complètement adapté à la situation ; comment les dons et parrainages aident aujourd’hui les familles ?

Les parrainages sont distribués aux familles, directement ou par des personnes tiers. Cela se fait de la main à la main ou par un système bancaire basique (les gens se rendent dans des magasins pour retirer l’argent). Cela les aide à vivre ou à survivre au quotidien ; le prix des denrées alimentaires, de l’essence, d’internet, a plus que doublé voire triplé. Depuis le début mars 2022, voyant que le conflit va perdurer, nous incitons les responsables à organiser des cours alternatifs dans les villages, les foyers qui le peuvent, les camps de déplacés. Les parrainages et les dons permettent d’indemniser les professeurs qui pour beaucoup sont en grève et ont été renvoyés de l’éducation nationale. Nous soutenons ainsi, en plus des filleuls, plus de 6 000 enfants dans différentes régions, pour qu’ils continuent d’étudier malgré le contexte. Les responsables sont très impliqués dans ces projets. Ils veulent que les jeunes puissent continuer à étudier et qu’ils ne soient pas doublement pénalisés par cette crise politique.

L'avenir de la Birmanie

Quels sont les grands chantiers et projets pour l’année à venir ?

Nous allons continuer à soutenir les jeunes qui devraient être à l’école mais qui ne le sont pas (soit les professeurs font grève et l’école est fermée, soit il est dangereux de s’y rendre dans les zones en conflit) pour qu’ils continuent de recevoir une instruction et d’être éduqués. Nous allons aussi aider les jeunes de terminale, qui malheureusement ne pourront pas être re-scolarisés. Ceux-là vont recevoir une formation courte mais professionnalisante pour avoir plus de chance de trouver un travail. Les jeunes gens, soupçonnés de rejoindre la résistance sont particulièrement vulnérables. Beaucoup de jeunes garçons et filles partent à l’étranger pour gagner leur vie. Les conditions politiques mais aussi économiques sont tellement mauvaises.  Les responsables me rappellaient l’importance de s’occuper tout particulièrement de cette génération.

Nous allons continuer d’animer le réseau des responsables de programmes à distance, pour qu’ils continuent de suivre de près les jeunes. Et pourquoi pas proposer des activités éducatives, en plus de la distribution du parrainage, pour palier la fermeture des écoles. Nous avons embauché deux coordinateurs locaux birmans, qui peuvent accompagner ces responsables sur le terrain ; il faut également former et accompagner ces personnes. La crise politique et l’impossibilité pour le moment de renvoyer des volontaires nous demande de revoir notre façon de travailler, pas seulement pour un temps court mais sur le long terme. Malheureusement la situation actuelle va -d’après toutes les personnes que j’ai rencontrées- se poursuivre, voire empirer. La présence d’Enfants du Mékong sera d’autant plus nécessaire.

Nos besoins en Birmanie

Anne Monmoton
Anne Monmoton Responsable Birmanie Contact