Conteuse des enfants des rues
Le mardi après-midi, c’est à Navotas, quartier côtier du nord de Manille, que se rend Mam’Percy pour ses activités. Le barangay [la plus petite division administrative philippine, ndlr] a été nommé Market 3 à cause des nombreuses criées environnantes qui parfument ses rues d’une forte odeur de poisson.
Market 3 est un lieu à part. L’air moite de la ville y rencontre le vent salé de la côte et si l’horizon semble bouché dans le reste de la mégapole, ici il n’est rythmé que par les cheminées des chalutiers et les grues des docks environnants. L’accès payant de l’entrée du port préserve le quartier du vrombissement continu des moteurs de Manille : une ambiance sonore très différente y règne. L’absence des bruits de la ville offre une acoustique nouvelle au concert des habitants du quartier.
Sur des fonds de musiques électroniques qui se chevauchent, les enfants chantent, rient, dansent et crient en courant entre les adultes qui s’activent à leurs tâches bien précises dans la reconstruction du quartier. Un incendie a ravagé la zone en octobre dernier et, en une nuit, a réduit en poussière 800 maisons. Un mois plus tard, les traces sont encore bien visibles : poutres carbonisées, résidus noirâtres et surtout une fine pellicule de cendre qui couvre les vêtements et colle à la peau. Les hommes s’emploient à une reconstruction efficace mais de fortune ; la plus pauvre en réalité, puisque toutes les habitations sont faites de fines charpentes coffrées de bois. Le martellement d’outils en tous genres a donc une place de choix dans l’orchestre permanent qui rythme la vie du quartier.
Cependant la rue est aussi le théâtre de toutes sortes de scènes de vie qui adoucissent le visage de la misère, et dont le premier rôle est tenu par une tribu de dizaines d’enfants qui se font danseurs, dessinateurs, chahuteurs. Couverts de quelques hardes, à moitié nus pour certains, les joues et les pieds noirs de cendre et de poussière, ils tourbillonnent autour de leurs visiteurs avec vacarme.
C’est au milieu de cette concentration de rires et de cris qu’on rencontre Mam’Percy. Assise en tailleur ou à genoux, elle esquisse un sourire et ses gestes lents semblent hypnotiser les quelques enfants qui l’écoutent religieusement raconter une de ses histoires.
Cela devient rapidement une évidence : elle est le point de convergence de cette effervescence de jeunesse et de vie. Et quel contraste n’y a-t-il pas entre cette énergie brute et survoltée des enfants et le calme, la douceur de la sexagénaire !
Une vie de service
A 63 ans, Mam’Percy passe tous ses après-midis ainsi, à lire des histoires dans la rue aux enfants les plus pauvres, ceux qui n’ont rien et qui pourtant gardent des trésors d’imagination : les enfants des bidonvilles. Donner de son temps et de son attention aux autres, à défaut de pouvoir donner autre chose, est parfaitement naturel pour Mam’Percy : « J’ai fait ça toute ma vie », confie-t-elle les yeux baissés.
En 1963, alors qu’elle n’a que 6 ans, sa famille quitte Masbate dans la région de Bicol, au sud de l’île de Luzon, pour rejoindre, comme beaucoup d’autres familles, la capitale et le bidonville de Navotas. Ses parents sont des exemples de charité. Elle raconte que son père n’hésitait jamais à accueillir les nouveaux arrivants chez eux, même si la petite pièce qui leur servait de foyer était pleine. « Les voisins réveillaient ma mère en pleine nuit pour l’appeler à l’aide », se souvient-elle. A 12 ans elle entre dans la Legion of Mary avec sa famille et visite les pauvres et les malades, ce qu’elle fait encore aujourd’hui.
Dès 16 ans, elle arrête ses études pour participer à l’effort parental et subvenir aux besoins de ses 6 petits frères et sœurs, d’abord dans une boulangerie avec sa tante, puis deux ans plus tard, dans une boutique de vêtements avec son oncle, pour 80 pesos par jour. « Le salaire était très bas, mais c’était un bon magasin avec de l’air conditionné », précise-t-elle avec cette douce expression qui ne semble jamais quitter son visage.
A 21 ans, elle travaille dans une usine de jeans. Chaque soir, cependant, elle suit trois heures de cours pour devenir secrétaire, apprendre à taper à la machine à écrire. Finalement, l’amour met un terme à cette formation puisqu’elle rencontre et épouse un conducteur de jeepney et, entre 1980 et 1986, elle met au monde 4 enfants. « Mon mari, dit-elle, était toujours d’un grand soutien, et lui-même une personne de cœur. » Aujourd’hui encore des larmes lui montent aux yeux à l’évocation de son décès en 2007. La famille de Mam’Percy, c’est sa force.
De l’action sociale aux contes de rue
En 1987 commence son engagement auprès des Missionnaires de la Charité de sa paroisse et, dès lors, elle multiplie les engagements et devient une figure incontournable du quartier.
En 2000, elle devient institutrice bénévole à la pré-school « Pamasawata learning center » qui se trouve dans la chapelle de son quartier. Elle y travaille tous les matins depuis ce temps-là. Alors qu’elle peine à arrondir les fins de mois, elle cotise pour payer l’électricité de la chapelle ! En 2005, 200 enfants, entre 3 et 4 ans, bénéficient des activités de Mam’Percy, et d’autres centres naissent selon ce premier modèle. Son volontariat inspire celui d’autres femmes du quartier, ce qui lui permet de diversifier son engagement.
Le bidonville de Sawatas a la particularité de se trouver au bord d’une rivière fort polluée, et lorsque qu’en 2006, l’association Hong Kong Doctors s’implante dans le quartier pour fournir des aides sanitaires et médicales, c’est encore vers Mam’Percy qu’ils se tournent.
Quand les sœurs de la Bonne Nouvelle (congrégation française dont la vocation est la vie contemplative au milieu des pauvres) se sont installées à Sawata, c’est elle aussi qui les a accueillies. Mais avec les religieuses, la relation est plus forte et Mam Percy leur devient vite indispensable, participant à leurs moments de prière et les aidant dans leurs actions sociales, notamment leurs bibliothèques de rue. Alors, quand l’association Phil’Book a été créée par deux anciennes volontaires françaises pour compléter les actions des sœurs auprès des enfants, c’est tout naturellement qu’elle a été embauchée pour devenir lectrice de rue. C’était en 2012 et, depuis, sa fidélité à ces rendez-vous avec les enfants est exemplaire. La conteuse des bidonvilles anime des bibliothèques de rue 4 jours par semaine. Mam’Percy dépense beaucoup d’énergie pour animer ses contes et écouter chacun, sans jamais se lasser.
Mum’Percy
Aujourd’hui, Mam’Percy a 63 ans. Progressivement le service a pris de plus en plus de place dans sa vie, si bien que, dans son barangay, elle est connue et respectée de tous. Mam’Percy donne tout son sens au respect des aînés, composante essentielle de la culture philippine.
« Mon objectif pour les enfants, c’est que mon volontariat les inspire et qu’ils apprennent le respect ».
Il faut reconnaître que dans les bidonvilles où grandissent ces enfants, peu d’adultes offrent un exemple souhaitable pour l’avenir. Mam’Percy apporte ainsi un vent frais et nouveau à son auditoire. Véritable exemple d’entraide, elle inspire aussi les plus âgés et de nombreux adultes s’engagent à leur tour. Appliquée à bâtir des ponts entre les associations, Mam’Percy n’hésite pas à emmener les adolescents parrainés de son quartier dans ses lectures de rue pour qu’ils apprennent à prendre soin des plus jeunes.
A son passage dans les rues étroites et ombragées du bidonville, les habitants de tous âges la saluent respectueusement, les plus jeunes lui attrapent la main et la posent sur leur front en signe de bénédiction. Certains l’appellent Mam’Percy, d’autres Mum’Percy, les deux semblent se confondre et cela lui va bien.
Son dévouement pour la communauté lui a valu une place au sein du Conseil des Propriétaires. Elle raconte que beaucoup l’y poussent à en devenir présidente, poste vacant depuis la mort du précédent, il y a deux ans. Elle refuse : « Je ne peux pas m’occuper de tout le monde, j’ai déjà les enfants ! ». Quand on lui demande ce qui l’attend, l’opiniâtre Mam’Percy répond : « Tous les matins je demande au Seigneur de m’aider à être forte et à trouver d’autres personnes qui ont besoin de mon aide ».
Si vous souhaitez en savoir plus sur le parrainage aux Philippines :
Un chemin pour l’école pour les enfants des bidonvilles aux périphéries de Manille !
Pasay City est un véritable un hub de transport touristique pour d’autres îles. Aussi, de nombreuses familles des bidonvilles gagnent leur vie en assistant les passagers ou en vendant des goûters, repas ou divers produits.
Soutenir les enfants porteurs de handicap dans les rues de Manille
Parmi les enfants abandonnés dans les rues de Manille, certains ont un handicap mental qui les rend encore plus vulnérables. La majorité d’entre eux est tout simplement parquée dans des prisons pour enfants sans aucune structure de suivi qui leur soit adaptée.