La formation intégrale d’Enfants du Mékong
L’éducation, est-ce seulement l’école ? Quels sont les éléments essentiels pour faire grandir un enfant ?
L’ONG d’éducation, Enfants du Mékong réfléchit depuis longtemps aux questions liées à la pédagogie et au bon développement des jeunes. L’ambition de l’association est de former les plus pauvres, mais une formation aussi bien académique qu’humaine.
Les trois pilliers de la formation intégrale ? Se construire soi-même, s’ouvrir au monde, s’impliquer dans la société.
En Thaïlande, on ne parle pas de l’affectivité et des relations entre garçons et filles. C’est un tabou. Dans la rue ou en public, les contacts sont considérés comme très impudiques voire choquants. Il serait impossible de penser se tenir par la main par exemple. Pour moi, c’est quelque chose de culturel : on ne doit pas montrer ses émotions.
Cependant les choses évoluent. La mentalité des jeunes change notamment au contact de la culture populaire mondialisée. Les films et les chansons popularisent un modèle occidental qui n’est pas celui des générations passées. Les écoles tentent donc d’aborder ces questions de relations entre garçons et filles mais c’est assez nouveau. Le véritable problème, c’est que ces changements créent des fractures dans les familles. La culture thaïlandaise valorise énormément le respect des aînés. Un jeune ne peut pas remettre en question ce que dit une personne plus âgée surtout dans sa propre famille. Quand un enfant n’est pas d’accord avec ses parents, il est plus facile pour lui de partir plutôt que d’affronter ses parents.
Je connais une jeune fille qui vit à Bangkok. Elle est étudiante et habite avec son petit copain dans un appartement qu’ils louent ensemble. Cette jeune femme est d’origine karen, une ethnie du nord de la Thaïlande et de la Birmanie. Dans la tradition karen, les garçons et les filles ont très peu d’activités communes et ne se côtoient pas beaucoup. Cette jeune fille est consciente que son choix de vivre avec son petit copain ne sera pas compris par ses parents. Ils pourraient même en souffrir et perdre la face si cela venait à se savoir. Alors elle a coupé les relations avec sa famille et n’ose plus rentrer au village. Malheureusement, c’est une situation de plus en plus courante en Thaïlande, dans les milieux pauvres.
14%
C’est le pourcentage de grossesses adolescentes, en 2016, en Thaïlande.
1089 cas de violences familiales
d’après l’Association pour les droits de l’Homme et le développement au Cambodge en 2012.
Nous avons besoin d’apprendre à construire de justes relations entre garçons et filles, à assumer nos choix et, ainsi, à préserver l’unité de nos familles.
Sina Vann est une rescapée. Avec pudeur mais les larmes aux yeux, elle raconte l’histoire ignoble qui l’a menée des rizières vietnamiennes aux maisons de passe de Phnom Penh. Son salut, elle le doit à l’association Afesip. Le travail culturel de prise de conscience est immense pour les associations de protection de l’enfance : 85 % de la prostitution est consommée d’abord par des locaux et 15 % par des étrangers. Aujourd’hui, Sina travaille avec passion pour l’organisation qui l’a recueillie et ne veut pas entendre parler de mariage. Trop de nuages au front. Trop de jeunes filles à sauver. Cette miraculée ne fait pas partie d’un petit groupe d’enfants qui seraient victimes de trafic. Si le pays est moins exposé au trafic sexuel que son voisin thaïlandais, selon les chiffres de l’Unicef, au Cambodge, un tiers des 50 à 70 000 personnes prostituées sont des enfants qui vendent leur corps dans 3 000 bars, karaokés, salons de massage et maisons closes. (…)
Ces activités touchent au cœur, les jeunes se livrent, ils creusent, et parfois ils doivent sortir, reprendre souffle, sécher des larmes.
Pour Enfants du Mékong, se connaître et se respecter soi-même ne suffit pas. Encore faut-il connaître et respecter les autres. Dans tous nos pays d’action, des différences de traitement demeurent entre les garçons et les filles notamment en matière d’accès à l’éducation. Mais même lorsqu’ils sont ensemble, les traditions veulent souvent que les filles et les garçons maintiennent une distance sociale importante.
C’est encore, par exemple, le cas en Birmanie où souvent, dans les classes, les garçons sont assis d’un côté et les filles de l’autre. Dans les centres et foyers de l’association, les jeunes sont encouragés à se parler et à participer à des activités communes comme le sport ou la danse. Des concours sont parfois organisés pour permettre à tous de se rencontrer et de se mesurer dans leurs catégories respectives. « Il n’est pas question ici d’encourager des relations amoureuses car elles sont interdites dans les foyers, mais plutôt de les encourager à exprimer leurs sentiments et à construire des amitiés solides, explique Chandeth, responsable des formations du Centre de Sisophon.* Dans les familles, les parents exercent de fortes pressions sur les enfants pour qu’ils réussissent. Les jeunes n’ont pas l’habitude de s’exprimer en vérité et de se livrer à quelqu’un d’autre, sauf parfois à leur mère. »
Pour mener à bien ces formations, Enfants du Mékong s’associe à un partenaire : Karol & Setha. « Karol & Setha c’est d’abord un grand éclat de rire, explique Armelle Lahalle, responsable de la formation intégrale d’Enfants du Mékong et ancienne volontaire Bambou au Centre Dr Christophe Mérieux.
Du rez-de-chaussée au 4e étage du Centre de Phnom Penh, on entend résonner les premiers jeux qui entament les 5 jours de formation. Lors de ces sessions, la primeur est accordée à l’amitié, condition sine qua non avant de pousser la réflexion sur l’affectivité et la sexualité. Karol & Setha, dans son approche, associe « la pensée critique à une compréhension claire de la sexualité dans le contexte des relations ».
Ces 5 journées permettent aux jeunes de réaliser un véritable travail intérieur personnel et de progresser aussi ensemble, dans un respect fondamental de la liberté et de la dignité de chacun. L’objectif premier, au terme de ce parcours pédagogique, est de leur permettre de communiquer sur leurs sentiments et leurs besoins, de comprendre leurs sentiments mais aussi les besoins des autres. « Ces formations sont très intenses pour les étudiants », observe Armelle. Parfois, les jeunes sont invités à partager sur des moments douloureux de leur vie. Cela conduit souvent l’un des deux facilitateurs à accompagner un jeune bouleversé en dehors de la salle et à lui offrir un temps précieux pour discuter seul à seul. Ces activités touchent au cœur, les jeunes se livrent, ils creusent, et parfois ils doivent sortir, reprendre souffle, sécher des larmes. C’est pourquoi l’apport de l’équipe de Karol & Setha est précieux. En plus d’être de la même nationalité et de la même culture que nos jeunes, ils disposent d’un talent supplémentaire : l’accompagnement individualisé pour ceux qui en expriment le besoin.
Jean-François Frys, dont la femme Myriam a fondé cette association, rappelle souvent que les facilitateurs ont besoin d’une année complète de formation avant de pouvoir se lancer eux-mêmes dans l’animation d’un groupe. On ne plaisante pas avec le cœur, le corps et l’esprit qui sont inséparablement liés : affecter l’un d’entre eux affecte les deux autres. Il ne faut pas moins d’un an pour apprendre à en cerner quelques frontières. Cette philosophie de Karol & Setha, fondée sur une approche holistique de l’être humain, est entièrement partagée par Enfants du Mékong.
Au cours de cette session, j’ai compris beaucoup de choses sur l’amour. De nombreux doutes ont été levés dans mon esprit concernant mes idées... J’ai également découvert d’autres choses qui rendent une personne heureuse en dehors des relations avec le sexe opposé. La quête du bonheur ne s’arrête pas lorsque nous ne parvenons pas à obtenir l’amour de la personne que nous aimons ou admirons. L’amour peut venir de tout le monde.
J’ai compris durant cette session qu’être amoureux n’est pas un mauvais sentiment ou une mauvaise décision. Par contre, être dans une relation à un mauvais moment peut nous conduire à faire des erreurs.
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