Sois responsable financièrement

Le témoignage de Chandeth, responsable de programme au Cambodge, et les solutions proposées par Enfants du Mékong pour responsabiliser les filleuls.

La formation intégrale

L’ONG d’éducation, Enfants du Mékong réfléchit depuis longtemps aux questions liées à la pédagogie et au bon développement des jeunes. L’ambition de l’association est de former les plus pauvres, mais une formation aussi bien académique qu’humaine.

Les trois pilliers de la formation intégrale ? Se construire soi-même, s’ouvrir au monde, s’impliquer dans la société.

Chandeth, responsable de programme au Cambodge.

Au Cambodge, bien que les jeunes dont nous nous occupons viennent de familles très pauvres, ils sont plus doués pour dépenser l’argent que pour le gagner. Cela pose un réel problème, car les familles sont amenées à s’endetter de manière absurde sans réelle possibilité de remboursement du capital dans le futur.

De 2004 à 2014,  le montant des prêts a augmenté  4 fois plus vite que l’évolution des revenus des débiteurs (Banque mondiale, avril 2017). Les familles n’hésitent pas à emprunter de l’argent à des taux très élevés parfois même poussés par les demandes de leurs enfants. Pourtant, dans la culture traditionnelle khmère, l’endettement était très mal perçu. Il était extrêmement honteux d’être débiteur de quelqu’un. C’est un signe que le Cambodge et les mentalités changent très rapidement.

Aujourd’hui l’endettement est devenu une norme pour les familles les plus pauvres sans qu’elles se préoccupent de savoir si elles pourront rembourser non. En ce sens-là, les projets humanitaires de microcrédit  n’ont pas beaucoup aidé.

Aujourd’hui pour beaucoup de jeunes dont nous nous occupons, le manque  d’argent est un frein aux études. Il faut travailler  pour gagner de l’argent, ce qui parfois les empêche d’aller à l’école ou de continuer après le baccalauréat. Pour d’autres, c’est le manque d’argent pour déménager et vivre en ville qui est un obstacle aux études universitaires. Dès leur plus jeune âge, les enfants sont au courant des soucis d’argent des parents. Il convient donc de leur apprendre à bien le gérer pour que leurs actes servent leurs ambitions futures. Cela prend du temps et ne peut pas se faire en un claquement de doigts. C’est comme un paysan dont l’âne serait tombé dans un puits. Pour l’en faire sortir, il n’a ni corde ni treuil. Que sa pelle. Alors patiemment, il jette du sable dans le puits jusqu’à ce que son âne puisse en sortir. Il en va de même pour l’éducation des jeunes et pour l’épargne. Il faut du temps pour qu’une graine donne un cocotier et encore plus de temps pour que le cocotier donne des noix de coco.

Chandeth, responsable des formations à Sisophon

 

 

 

 

 

 

 

 

3,99 milliards de dollars US.

C’est le montant de la dette détenue par des instituts de microfinance au Cambodge en 2017.

1500 à 2000 dollars US

C’est le montant de dettes par foyer au Cambodge.

 

Témoignage du Vietnam : Lé Van Tôt

Chaque année, entre juillet et novembre, la ville de Can Tho, qui compte d’innombrables  canaux  fluviaux,  connaît  des inondations. L’an dernier, Lé Van Tôt, a été obligé d’emprunter pour faire des travaux afin de mettre sa maison hors d’atteinte des eaux. D’une santé fragile, Lé Van Tôt ne peut pas travailler. Sa femme, Câm Sano, vend de la soupe et gagne difficilement 30 000 dongs (1 euro) par jour ce qui ne lui permet pas d’assurer toutes les dépenses du foyer, mais suffit à placer la famille au-dessus du seuil de pauvreté fixé par l’État. De ce fait, la famille ne peut pas prétendre aux prêts  aménagés pour les populations les plus démunies.

Lé Van Tôt s’est tourné vers un système de financement parallèle qui fait appel à des prêteurs privés pratiquant des taux d’intérêt très élevés. Au Vietnam, ce type de recours est encore très courant.  Les avantages de ces prêts sont séduisants pour des familles sans garantie ni revenus réguliers. Le système est fondé sur la confiance. Souvent prêteur et demandeur appartiennent au même quartier, ce qui renforce la confiance et aussi la surveillance de la famille endettée.

Famille de Lé Van Tôt

Avec un emprunt de 3 millions de dongs (environ 105 euros), Lé Van Tôt rembourse chaque mois 300 000 dongs (10,50  euros). Une somme énorme pour cette famille aux revenus à peine suffisants pour rembourser les intérêts de la dette. De fait, pour rembourser sa dette, la famille devra un jour ou l’autre procéder  à un nouvel emprunt, voire les cumuler dans un cercle vicieux d’endettement à vie courant au Vietnam.

 

Les formations du terrain

L’enjeu à travers le parcours proposé aux collégiens, lycéens et étudiants de nos centres et foyers est de leur donner une idée concrète des réalités économiques. « J’ai été très surprise lors de l’une de nos premières formations au Cambodge en 2007, de découvrir que les adultes eux-mêmes n’avaient pas toujours des notions très claires à propos de l’argent. Je me souviens d’un adulte qui ne faisait pas de différence entre un salaire et un prêt. Dans les deux cas pour lui, c’était une rentrée d’argent. Peu importait  alors qu’il faille par la suite rembourser l’un des deux », explique Sophie Paine, une formatrice à l’origine du programme « A+B=3 », partenaire d’Enfants du Mékong.

« Ce que voit un enfant, il le fait, ce qu’il entend, il le dit », martèle Chandeth, le responsable des formations au Centre de Sisophon. C’est en suivant ce même principe que l’ensemble de la pédagogie.

 

du programme a été pensé, en privilégiant les jeux et les activités plutôt que des cours d’économie trop théorique. « Nous rejoignons ainsi les étudiants directement dans leurs préoccupations quotidiennes en imaginant des budgets qui prennent en compte le logement, les repas ou encore les lessives et l’abonnement téléphonique. » Tout passe par le jeu et la prise de conscience des risques de la dette pour éviter que les jeunes ne reproduisent de mauvaises habitudes souvent observées dans leur entourage. L’un des indicateurs clés de la réussite de ce programme et de la compréhension des jeunes est le taux d’endettement informel : « Dans la microsociété que constitue le foyer, nous essayons d’observer  si les jeunes continuent ou non de s’emprunter de l’argent entre eux. C’est un excellent indicateur », souligne Sophie Paine.

Un exercice est souvent proposé aux adolescents dans les centres pour favoriser la prise de conscience. Il est demandé à chacun de s’asseoir en position de méditation  pour penser pendant 2 minutes à une personne que l’on apprécie. À la fin, chacun raconte ce qu’il s’est représenté, où et comment la personne était, etc. Ce faisant, les jeunes prennent  conscience qu’ils ne se sont pas représenté la personne avec ses possessions. On apprécie rarement quelqu’un pour ce qu’il possède, mais plutôt pour ce qu’il est. La leçon de cette activité est tout simplement  qu’il ne sert à rien de dépenser un argent qu’on n’a pas pour des choses dont on n’a pas besoin, car cela ne nous rendra pas meilleurs. Un message fort et parfois anachronique dans une société de consommation. C’est ce que nous sommes qui fait que les autres nous apprécient ou non !

« J’ai particulièrement  aimé apprendre comment établir un budget et je veux le transmettre à ma famille. Cela nous permettra de faire plus d’économies. » Une collégienne

 

« Grâce à cette formation, j’ai appris comment gérer l’argent. Et je sais aussi ce que je veux et ce dont j’ai besoin. Je peux donc choisir ce qui est bien pour moi. Je peux mettre de l’argent à la banque. Quand j’ai un problème,  je ne m’inquiète plus pour l’argent : j’en ai sur mon compte. C’est donc facile pour moi. Je n’ai pas besoin d’emprunter. » Un étudiant

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