Birmanie: L’escalade vers la guerre civile ?

Une nouvelle étape a été franchie en Birmanie dans la lente progression vers ce qui sera sans doute dans quelque mois une nouvelle guerre civile. Mathilde GILLIER, chargée de pays pour la Birmanie décrypte pour Asie Reportages les tenants et aboutissant de l’appel du gouvernement dissident à une « guerre défensive » contre l’armée.

Propos recueillis par Antoine Besson.

Article publié dans Asie Reportage N°217, octobre 2021.

Quelques dates :

1ᵉʳ février 2021 : Coup d’Etat militaire en Birmanie

juillet 2021 : Troisième vague de COVID-19 en Birmanie

07 septembre 2021: Déclaration d’une « guerre défensive » contre la junte militaire.

« Nous lançons une guerre défensive du peuple contre la junte » a déclaré Dawa Lashi, le président du National Unity Governement (NUG), le 7 septembre dernier dans une allocution officielle. Avec ces mots, le gouvernement dissident formé par les ex-députés du parti d’Aung San Suu Kyi (la NLPD), appelle tous les birmans, civils comme soldats, à résister par les armes contre la junte militaire.

Cette déclaration marque un nouveau tournant dans les évènements qui secouent la Birmanie depuis plus de huit mois. Cette tentative du NUG de rassembler d’un même bord tous les groupes armés et ethniques qui combattent depuis plusieurs mois les militaires au pouvoir était attendue par de nombreux citoyens birmans. Dans l’État Shan, au cœur de la répression militaire, une responsable de programme[1] témoignait :

« C’est le jour J. Dans plusieurs lieux du pays, la guerre civile a commencé ce matin ».

[1] Bénévole local en charge du suivi des parrainages et des filleuls.

Rappel des faits

Depuis le 1er février, et le coup d’État militaire, la Birmanie est le théâtre de violences de plus en plus nombreuses. Alors que dans les premières semaines, les manifestations du peuple birmans étaient pacifiques, plus d’un millier de morts sont à déplorer aujourd’hui.

Des civils et des militaires sont tués chaque jour dans des affrontements entre l’armée et les milices (souvent ethniques). Les populations ont peur et fuient dans les campagnes. « Nous pouvons entendre les tirs et les roquettes toutes les nuits. Les combats continuent et la plupart des gens doivent quitter leur maison et fuir dans des lieux plus sûrs. » témoigne un habitant de Loikaw dans l’État Kayah à l’Est du pays. Les militaires, lors de ces attaques, pillent les ressources et menacent de brûler les maisons.

Les conséquences sont dramatiques pour les populations. Le prix des matières premières a considérablement augmenté.

Une habitante de Rangoun constatait que « le kilo de pomme de terre est passé de 800 kyats à 1700 kyats » soit de 50 centimes à 1,10 €, plus du double. « Si cela continue, les gens connaîtront la famine d’ici la fin de l’année 2021. » s’inquiète le père Philip Aung Nge.

Au risque de famine et aux conséquences de la guerre, il faut ajouter depuis juillet 2021 la crise sanitaire. La Birmanie fait face à une troisième vague de COVID-19 alors que beaucoup de soignants ont fui par peur des répressions suite à leur participation au mouvement de désobéissance civil des premiers mois.

Le conflit à l’international

A l’international, la situation de la Birmanie préoccupe.

Michelle Bachelet, Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, alerte sur le fait que les droits de l’homme sont bafoués dans le pays et que ce coup d’Etat « dévaste des vies et les espoirs dans tout le pays ».

Lors de la dernière assemblée générale de l’ONU, personne n’a pu s’exprimer pour représenter la Birmanie. Cette décision d’écarter Kyaw Moe Tun, l’ambassadeur birman qui avait pris fait et cause pour le mouvement de désobéissance civile, aurait été prise par la Russie, la Chine et les Etats-Unis d’un commun accord.

 

Bien que la junte birmane ait nommé une personne pour le remplacer en mai dernier, l’ONU tarde à la reconnaître entérinant de fait une défiance quant à la capacité des militaires à représenter le pays.

Plusieurs puissances étrangères ont des intérêts importants en Birmanie. La plus importante, la Chine, pays limitrophe, a des intérêts économiques et stratégiques de grande ampleur liés à son projet pharaonique de nouvelles routes de la soie, et tente officiellement d’apaiser les tensions dans le pays.

Perspectives

Alors comment évoluera la situation dans les prochains mois ? D’après plusieurs contacts locaux, le NUG aurait demandé à la population de rassembler de la nourriture pour deux mois et de s’installer dans un lieu sûr. De tels dispositions laissent entendre qu’une guerre civile est en train de se mettre en place jour après jour.  Avec la fin de la saison des pluies, une évolution rapide est à craindre dés le mois de novembre.

Zoom sur Aung San Suu Kyi

Le procès d’Aung San Suu Kyi, commencé en juin dernier, a repris le 13 septembre après deux mois d’interruption. La dame de Rangoun est accusée d’avoir accepté plus de 500 000 euros en pots-de-vin ainsi que des lingots d’or. Les proches du prix Nobel de la Paix dénoncent une manipulation de la junte pour priver l’opposition de sa pièce maitresse.

En effet, sans Aung San Suu Kyi, le front de résistance politique largement issu des rangs de la Ligue nationale pour la démocratie (LND), le parti politique de la majorité déchue, peine à se faire entendre et à sceller les alliances nécessaire avec les leaders ethniques. La belle unité de la résistance des premiers instants laisse déjà percer des dissensions qui pourraient faire le jeu des militaires à long terme.

Interrogée par RFI, la politologue May-Oo Mutraw exilée en Thaïlande relativisait cependant : « La Birmanie est en feu? Il est difficile de garder espoir, mais ce qui est encourageant, c’est que la jeunesse continue a résister à la dictature et à l’agression. Si nous trouvons des moyens de soutenir cette jeunesse alors nous donnerons peut-être une chance à la démocratie ! « 

crédit photo : Claude TRUONG-NGOC