Romancier à succès de la maison Gallimard, Timothée de Fombelle 

Timothée de Fombelle est le père de héros aussi jeunes que ses lecteurs. Chacun de ses romans est une invitation au voyage et au rêve, que l’auteur revendique comme des oeuvres d’imagination propices à faire grandir le lecteur.

Timothée de Fombelle est le père de héros aussi jeunes que ses lecteurs. Chacun de ses romans, Tobie LolnessVango ou Alma, est une invitation au voyage et au rêve, que l’auteur revendique comme des oeuvres d’imagination propices à faire grandir le lecteur et à lui inventer des futurs souhaitables. Encore faut-il savoir lire…

PROPOS RECUEILLIS PAR ANTOINE BESSON

Vous êtes un familier du Vietnam. Quelle image gardez- vous du temps passé là bas ? 

J’ai vécu deux ans au Vietnam au tout début de mon mariage, dans les années 2000. Envoyé comme coopérant pour enseigner le français à des professeurs en formation, j’y ai fait des découvertes incroyables, comme lors de cette randonnée dans les montagnes du nord, aux confins de la Chine. C’est un territoire ethnique d’une fascinante richesse. Chaque vallée était un univers entier à elle toute seule. En une journée de marche, nous rencontrions trois peuples, trois cultures et même trois langues différentes. Aucun romancier n’oserait inventer un patchwork d’une telle richesse humaine aussi concentrée. L’envers de cette richesse, c’est aussi la fragilité de ces ethnies qui se savent très surveillées par les autorités et subissent une intégration forcée au modèle dominant. Je me rappelle aussi une école atypique dans la baie d’Ha Long. C’était un radeau flottant avec un tableau noir qui accueillait les enfants des îlots voisins et des maisons flottantes alentour. Beaucoup de ces enfants devaient travailler comme pêcheurs avec leurs parents. Ils menaient presque des vies d’adulte mais l’école était leur récréation. C’était leur liberté. 

Justement, 16 % de la population mondiale ne sait ni lire ni écrire. Pour l’auteur et l’ancien professeur que vous êtes, qu’est- ce que la lecture apporte à la vie?

La lecture, c’est l’accès à la liberté, à la vérité et à l’ailleurs. Dans un de mes livres, Capitaine Rosalie qui se déroule pendant la guerre de 1914-1918, mon héroïne est une petite fille dont le père est parti au front. Elle sait que son père envoie des lettres que les adultes lui lisent en déguisant la réalité. Dès le début, elle se donne donc une mission secrète : apprendre à lire pour découvrir la vérité. Ce roman est souvent présenté comme un récit autour de la guerre mais pour moi, c’est beaucoup plus un livre sur l’importance de cet accès à la lecture comme voie privilégiée vers la vérité. 

« Par l’imagination, on rend la vie un peu plus intense et, ainsi, on se permet de rêver une meilleure vie. »

Vous souvenez-vous de vos premières lectures ? 

J’ai la mémoire très précise des horizons que cela m’a ouverts. La possibilité presque magique d’entrer dans l’esprit de quelqu’un, dans un autre siècle, un autre pays. Et grâce au revers de la lecture qu’est l’écrit, la possibilité de s’exprimer. J’ai enseigné dans des endroits un peu rudes de la région parisienne et j’y ai constaté combien parfois la pauvreté des moyens linguistiques implique la violence et les autres manières d’exister au monde. L’incapacité à s’exprimer engendre toujours un bouillonnement catastrophique pour le développement. Dans notre monde contemporain, il est quasiment impossible de survivre sans maîtriser la lecture et l’écriture.

C’est donc avant tout un savoir utile ? 

Oui, bien sûr ! Essayez donc de contracter un microcrédit sans savoir ni lire ni écrire. Mais à cette dimension utilitaire de l’alphabétisation, j’ajouterai l’imagination. Je crois aux histoires. La fiction, jugée inutile, est en réalité indispensable. L’accès aux histoires, même en images, offre avant tout des fenêtres qui s’ouvrent sur autre chose. 

D’autant plus indispensable que tous les autres aspects de la vie des enfants pauvres sont souvent tournés vers la survie et sont donc, par essence, utiles.

Exactement, la gratuité pour moi est la définition de l’enfance. C’est le moment où on a droit de perdre du temps. L’enfant est un pirate assis sur un trésor de temps amassé dont il peut disposer à sa guise, sans compter. C’est le moment du jeu et de la rêverie. Dans les conditions précaires, quelles qu’elles soient, c’est toujours la première chose qu’on coupe. La première chose qui disparaît : l’accès à cet imaginaire. L’imagination est essentielle à l’humanité. C’est si naturel que lorsqu’on donne ces moyens de la lecture et de l’écriture à des enfants en situation de grande précarité, il n’y a rien à faire de plus pour qu’ils s’y accrochent. Il n’y avait pas de problème de décrochage scolaire dans ma petite école flottante de la baie d’Ha Long qui ne soit pas lié à des contraintes extérieures indépendantes de la volonté de l’enfant. 

Comment définiriez-vous cette imagination qui, à vous entendre, est une force vitale ?

Par l’imagination, on rend la vie un peu plus intense et, ainsi, on se permet de rêver une meilleure vie. Dans son impuissance d’enfant, et en particulier lorsqu’on est un enfant vivant dans un cadre très précaire, c’est par l’imagination qu’on se découvre des pouvoirs. Pas des super-pouvoirs mais l’idée simple d’être le héros de sa vie et d’avoir la capacité d’en dépasser les épreuves et d’en sortir grandi. L’imagination en ce sens nourrit le réel, elle donne envie de liberté et elle devient même dans certains cas, un espace de survie. Je le vois notamment dans les témoignages de lecteurs que je reçois : le livre peut être un réconfort ou un meilleur ami . C’est la force de la rencontre avec l’imaginaire. Ce n’est pas qu’un passe-temps ou une rêverie. Tous les grands destins ont commencé par de grands rêves. 

À l’échelle de l’individu, vous dites que l’imagination permet d’enrichir sa vie, mais à l’échelle globale, qu’apporte-t- elle à nos sociétés ?

Je crois vraiment que l’imagination peut rendre le monde meilleur. La question écologique est, par exemple, encore en attente du grand rêve qui la fera sortir de l’ornière de l’angoisse pour devenir un futur enviable. Je ne pense pas qu’on sortira de notre situation de détresse écologique sans avoir un horizon qui donne envie et qui ne se résume pas à limiter les dégâts. Je crois en un monde bien meilleur mais pour cela, il faut apprendre à rêver collectivement. Notre société est en panne de ces histoires qui nous font rêver.

Est-ce qu’à ce titre-là, les enfants n’ont pas quelque chose à nous apprendre ?

Dans mon livre Neverland, je raconte que ma chance d’enfant a été d’être entouré d’adultes qui avaient conscience que le monde de l’enfance est un monde qui détient les secrets de la vie. Ce n’était pas nous qui rêvions d’être adultes, c’étaient les adultes qui nous espionnaient pour être spectateurs de nos vies intérieures. Cela donne confiance et permet de vivre l’enfance pleinement. Les enfants sont dépositaires de secrets qui nous sont précieux ; à commencer par cette capacité merveilleuse d’être dans l’instant. C’est la première condition de la liberté que de vivre l’instant présent. Ce n’est pas tant que l’enfant à quelque chose à apprendre aux adultes, ce serait plutôt l’attitude des adultes vis-à-vis des enfants qui est importante. Autant pour préserver le monde des enfants qui nous est un témoignage essentiel, que pour laisser à l’enfant lui-même le loisir de goûter ces instants décisifs dans sa vie. Malheureusement, le monde des adultes et ses préoccupations, ses contraintes et ses engagements font trop souvent effraction de manière brutale et précoce dans le monde des enfants. Particulièrement dans des conditions de vie précaires.

Il faut préserver l’enfance des règles du jeu du monde adulte. Les quelques mois qui ont précédé le moment où j’ai offert à ma fille son premier téléphone portable, je me souviens m’être dit à chaque fois que je reculais l’échéance : « c’est un mois de plus de gagné ». Je la préservais de cet objet qui est comme un esclavage qui change à jamais le rapport de nos enfants au temps et au monde. L’un de mes personnages dans Céleste ma planète dit : « Je n’ai pas de téléphone portable de même que, si j’étais un chien, je ne voudrais pas de laisse !» La fréquentation du livre est une résistance face à l’écran. Muscler l’imagination des plus jeunes par le livre, c’est aussi leur offrir un extraordinaire moyen de lutter contre les dérives et les tentations des écrans. 

Il faudrait donc, que l’enfance puisse recoloniser un peu le monde adulte afin de créer des horizons enviables pour chacun?

Il y a quelques années, j’ai été invité à participer à un très beau projet mené par la chaire de prospective des Arts et Métiers qui s’appelle l’Institut des Futurs souhaitables. J’ai particulièrement aimé ce nom parce qu’il dit clairement qu’il ne s’agit pas seulement de se projeter dans toutes les catastrophes qui pourraient arriver mais aussi de choisir les voies désirables qui nous tireraient vers le haut. C’est un chemin de lumière que l’on dessine plutôt que de dresser de grands épouvantails : trouver des solutions plutôt que constater les maux. C’est à cela que je pensais lorsque j’employais les mots de rêve collectif. C’est cette idée qu’on peut identifier des phares dans la nuit des épreuves qui nous attendent pour tracer une voie qui pourrait être bonne et qui est toujours de l’ordre de l’imagination ou de l’invention parce qu’elle n’existe pas encore.

Concrètement, aujourd’hui, comment fait-on ?

D’abord je crois qu’il faut assurer les apprentissages de base : la lecture, l’écriture et le calcul, bien entendu, mais aussi une somme de savoir-être et d’expériences de vie en commun hyperlocale qui sont malheureusement rarement valorisés. J’ai visité des écoles qui étaient des modèles réduits d’un monde meilleur. Elles reposent toutes sur desenseignants extraordinaires. Ce sont ces énergies qu’il faut privilégier et valoriser. Et cela, dès le plus jeune âge.

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