La beauté du geste : le ballet royal Cambodgien

Cantonnée dans l’enceinte du palais royal, la danse classique cambodgienne fut, des siècles durant, un art sacré et secret, réservé au roi et à sa cour. En 1906, un voyage historique en France révèle ce spectacle millénaire au grand public.

Cantonnée dans l’enceinte du palais royal, la danse classique cambodgienne fut, des siècles durant, un art sacré et secret, réservé au roi et à sa cour. En 1906, un voyage historique en France révèle ce spectacle millénaire au grand public. Parmi les spectateurs du ballet royal khmer, le sculpteur Rodin est fasciné. Une épopée moderne contée dans un documentaire exceptionnel : La Beauté du geste. 

Texte : Antoine BESSON – Photos : ALOEST – LA BEAUTÉ DU GESTE

La Beauté du geste met à l’honneur les esquisses réalisées par le sculpteur Rodin lorsqu’il découvrit le ballet royal à Paris.

Il est un art si sacré au Cambodge qu’il est depuis plus d’un millénaire réputé permettre aux hommes de dialoguer avec les dieux. Aux femmes devrait-on plutôt écrire puisque jusqu’au XXème siècle, la danse classique cambodgienne était un art exclusivement féminin, forme ancienne de théâtre dansé, intimement lié à la fonction royale. Fardées de blanc pour masquer toute expression humaine, vêtues des costumes les plus fins, des étoffes les plus précieuses cousues de fils d’or, les danseuses, le temps des représentations du ballet royal, ne s’appartiennent plus.

Elles incarnent par cette danse incantatoire un trait d’union entre les divinités et les hommes, qui se manifeste notamment par une chorégraphie étrange, lente mais rythmée, des gestes comme désarticulés, surnaturels, qui sont un langage à qui sait le décrypter.

Découvrir l’art de la danse classique cambodgienne, c’est donc s’initier à ses secrets. Une initiation tant historique que culturelle dans les arcanes de cet art divin dont les origines sont millénaires.

« Il existe deux symboles dans le Cambodge moderne auxquels s’identifient tous les Khmers et qui sont des marqueurs identitaires : les temples d’Angkor et la figure de l’Apsara », explique le réalisateur qui a bénéficié de maîtres de renom pour comprendre l’art qu’il filmait, à commencer par la princesse Norodom Buppha Dévi.

Fille aînée du roi Sihanouk et demi-sœur de Sihamoni, l’actuel roi du Cambodge, formée à l’art de la danse classique cambodgienne dès l’âge de 6 ans, ancienne danseuse étoile et maîtresse du ballet royal, décédée le 18 novembre 2019, celle qui a créé la danse de l’Apsara livre dans ce documentaire un testament artistique très émouvant tandis que le cinéaste la suit lors de sa dernière création destinée à la Philharmonie de Paris : Métamorphoses.

Extrait du film documentaire du réalisateur Xavier de Lauzanne, La Beauté du geste, dont la sortie dans les salles de cinéma françaises est programmée pour le 13 mars 2024.

L’Évolution du Ballet Royal : Entre Tradition et Modernité

Ce n’est pas parce que l’art du ballet royal est millénaire qu’il n’a pas évolué au fil du temps. C’était justement tout l’enjeu de ce film de montrer à la fois les origines antiques de cet art et sa transformation moderne. Car la danse classique n’est pas un art figé et le XXème siècle a été une période faste pour cet art aujourd’hui inscrit au patrimoine oral et immatériel mondial de l’UNESCO. Sous l’impulsion de la reine Sisowath Kossamak, grand-mère de la princesse Buppha Dévi et du roi actuel, le ballet royal sort de l’enceinte privée du palais se tourne davantage vers les hommes que vers les dieux et devient un outil très en vogue du soft power cambodgien.

Ce spectacle, d’une envergure rare, a nécessité des mois de préparation. La caméra de Xavier de Lauzanne nous introduit dans le secret des répétitions et des exercices qui sont autant d’occasions de comprendre et d’admirer la symbolique et la technicité de la gestuelle. Surtout, elle nous fait découvrir l’histoire d’une fascination : celle qu’éprouva le sculpteur Auguste Rodin, lorsqu’il découvrit en 1906, les danseuses du ballet royal cambodgien au Pré Catelan, lors de leur toute première représentation en dehors de l’enceinte du palais royal de Phnom Penh. De cette rencontre naissent des dizaines d’esquisses, reproduites à l’écran dans un dispositif d’une beauté stupéfiante tandis que les danseuses d’aujourd’hui chorégraphient à la perfection la posture immortalisée par le sculpteur, prouvant par là l’incroyable pérennité de cette danse des temps anciens.

La troupe du ballet royal fait ainsi le tour de la planète. Le monde entier est fasciné par la gestuelle presque surnaturelle des danseuses, tout en suspension.

Car c’est sans doute l’un des aspects qui fascine le plus dans ces chorégraphies : l’incroyable souplesse des interprètes qui parviennent à contraindre leurs articulations à des mouvements qui semblent contraires à l’anatomie. Une souplesse qui, Xavier de Lauzanne l’affirme, est naturelle chez les Cambodgiens.

 

La danse fait partie de l’ADN de la société cambodgienne parce que tous possèdent cette souplesse naturelle et aussi parce qu’elle est le langage par lequel ils célèbrent les moments importants de leur vie. – Xavier de Lauzanne

 

Mais si tous les Cambodgiens dansent, tous ne connaissent pas forcément l’histoire de cette danse. La faute en revient à la dictature des Khmers rouges. Sous le joug d’une idéologie qui magnifiait une nation agricole et ouvrière, le pays a perdu une part extrêmement importante de son élite intellectuelle, culturelle et artistique. Les témoignages montrent combien la tradition de la danse classique cambodgienne est un art qui a échappé de peu à l’anéantissement.

La fragilité aérienne de la danse a pourtant survécu et c’est aussi cette histoire que nous conte Xavier de Lauzanne. « Cette facette de l’histoire du ballet royal a une portée universelle. Ce lien de l’art que nous explorons avec l’identité, la résilience et la reconstruction d’une nation est passionnante. »

 

La danse comme Manifeste : La renaissance culturelle khmère

Comme si la danse classique avait quitté l’enceinte du palais royal au XXème siècle juste à temps, au moment où le peuple cambodgien en avait le plus besoin, pour lui redonner fierté et courage après les horreurs de la guerre. Ainsi, La Beauté du geste devient un manifeste en l’honneur de la culture et de la beauté dont le succès lors de sa sortie nationale au Cambodge a prouvé la quête d’identité des jeunes Khmers : « Les arts sont un des éléments majeurs qui constituent l’identité nationale et l’histoire récente des Khmers montre combien la culture est essentielle au processus de reconstruction d’un pays après la guerre. Mais au-delà de ce contexte spécifique, ce film est aussi un vecteur de beauté universelle », renchérit le réalisateur. Une beauté qui transparait au fil des 86 minutes du film, tant par les images que par le récit délicat de cette épopée du ballet royal, et qui s’enracine dans la conviction de Xavier de Lauzanne : « Dans le contexte contemporain enlaidi par la violence et la guerre, il faut cultiver la beauté ! »

PLUS DE REPORTAGES

Antoine Besson
Antoine Besson Rédacteur en chef du magazine Asie Reportages Contact