Face à ces données, on peut s’étonner que les responsables de tels abus ne craignent pas de tomber sous le coup de condamnations pénales.
Dans les faits, depuis 1992, le pays s’est doté du Republic Act (R.A) 7610 sur « la protection spéciale des enfants contre les sévices, l’exploitation et la discrimination », première loi du pays à condamner les sévices sur mineurs. Cinq ans plus tard, deux nouvelles lois définissent le viol comme un crime mais fixent l’âge minimum de consentement sexuel à 12 ans (le plus bas parmi les pays d’Asie. Un contexte législatif qui, ajouté à la pauvreté et la malnutrition, pousse certaines familles à vendre leurs enfants dans le cadre du tourisme sexuel, y compris en ligne. Les Philippines seraient, d’après les mots de son propre ministre de la justice, « leader mondial du viol en ligne » et figurent parmi les premiers pays producteurs de contenus pédocriminels sur Internet. Depuis 2012, un nouveau phénomène inquiète les autorités. Le « live-streaming », qui consiste à vendre des vidéos de violences sexuelles commises sur des enfants devant webcam selon un scénario préétabli, est de plus en plus courant. Boostées par la pandémie mondiale de Covid-19, les statistiques liées à cette pratique auraient triplé en trois ans. Pays anglophone équipé de bonnes connexions Internet, ayant accès à des smartphones peu chers, les Philippines comptabiliseraient huit fois plus de signalements que les autres pays producteurs de tels contenus en ligne d’après un rapport de 2020 de l’International Justice Mission (IJM), une organisation internationale en pointe dans la lutte contre ces violences. Dans 41 % des cas, ces viols seraient incestueux, c’est-à- dire commis par les parents biologiques.
« Le pays se dote au fur et à mesure de lois de plus en plus adaptées », reconnaît cependant Shay Cullen, prêtre catholique irlandais de 79 ans à l’origine de la fondation Preda à Olongapo sur l’île de Luzon. Cet activiste de longue date qui milite contre l’exploitation sexuelle des enfants aux Philippines souligne la dernière avancée en la matière : « En 2022, l’âge minimum du consentement sexuel est passé de 12 à 16 ans. C’est une victoire importante », souligne-t-il avant de mettre en garde : « le problème ne vient pas tant des lois aujourd’hui que de la volonté de les faire réellement appliquer».Toute la difficulté est là. « Nombreux sont ceux, au sein des forces de police, des cours de justice ou même chez les travailleurs sociaux, qui minimisent les faits, en particulier quand les victimes ne sont pas issues d’une classe privilégiée », se désole à Manille Jicel Bazar, 33 ans, coordinatrice des services sociaux de l’association Anak-Tnk qui recueille des enfants des rues, population particulièrement exposée aux sévices sexuels. Même complainte à Cebu où le frère Paul, de l’université San Carlos qui coordonne un programme d’action sociale, regrette de ne pas croiser plus souvent les travailleurs sociaux du gouvernement sur le terrain.
« En 2022, l’âge minimum du consentement sexuel est passé de 12 à 16 ans. C’est une victoire importante »