L’Odyssée de Madame Bounmy au Laos

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Au cœur des grandes mutations politiques du Laos, madame Bounmy n’a jamais su rester spectatrice. Impliquée à son échelle, elle a partagé le sort des Hmongs et des réfugiés du Laos en Thaïlande. Dévouée à sa famille, elle n’a pas non plus hésité à venir en aide à ceux qui partageaient sa misère.

Texte et photos : Tanguy Vuillier

Une enfance dans la guerre

Le long de la Route Nationale 13, au milieu des rizières qui bordent le Mékong, l’école maternelle de Ban Ponxay est plongée dans le silence. Il est 13h30, c’est l’heure de la sieste. Tous les enfants dorment les uns contre les autres. Madame Bounmy les contemple un grand sourire aux lèvres.

C’est l’heure de la sieste à l’école maternelle de Ban Ponxay

Madame Bounmy est née dans les années 50, elle-même ne sait pas exactement quand. Sa famille vivait dans un petit village de montagne, Ban Nam Say, dans la province de Xieng Khouang. C’est un village de la minorité Khamou dont elle est issue. Là-bas on parle khamou et on apprend le laotien à l’école.

Bounmy est la quatrième d’une famille de six. Ses jeunes années sont marquées par la guerre contre les communistes et les bombardements qui rendent la région dangereuse. Tant et si bien qu’on conseille aux parents de Bounmy de mettre à l’abri leur fille chez les Sœurs de la Charité dans la ville de Savannakhet. Les parents acceptent. Commence alors un voyage incroyable : un prêtre américain vient à Phônsavan chercher les enfants dans la zone de guerre et part avec eux dans un coucou pour Vientiane. Le reste du voyage se termine en bateau sur le Mékong pour arriver à Savannaket.

Bounmy a tout juste 8 ans quand elle arrive chez les sœurs.  Elle y restera 10 ans. Elle y apprend le laotien et le français. À l’époque déjà elle entend parler de René Péchard, qui aidait les enfants des rues à Vientiane.

Le retour

Bounmy aime sa vie chez les sœurs et elle leur est reconnaissante de tout ce qu’elle a appris avec elles. Cependant elle n’a pas la vocation et sa famille lui manque terriblement. En 1970 elle décide donc, coûte que coûte, de retrouver ses parents et de partir à l’Est de Vientiane dans sa région natale de Xieng Khouang au milieu des montagnes et de la guerre.

Madame Bounmy et son mari, Bounkheut.

Après de longues recherches, elle finit par les découvrir dans le village de Ban Nam Mo où ils avaient été forcés de déménager pour fuir les bombardements. Ils vivaient dans une petite maison de bambou et n’avaient que peu de terrain pour cultiver le riz.

Pour les aider Bounmy se met en quête d’un travail. Dans la région l’armée des Hmongs combat auprès des Américains et des royalistes laotiens. Un colonel important de l’armée hmong vit avec sa famille à Long Tieng. Lorsqu’il apprend que Bounmy parle français, il lui demande de l’enseigner à ses enfants. Elle devient alors professeur de laotien, français et mathématiques pour les nombreux enfants du colonel Tou.

C’est pendant cette période qu’elle rencontre Bounkheut. Originaire de la province de Paksane, Bounkheut est soldat pour l’armée royale laotienne et en service dans la province de Xieng Khouang. Dès 1973 ils décident de se fiancer. Après avoir obtenu l’aval de leurs familles respectives, ils se marient en 1974.

LA FUITE EN THAÏLANDE

Autour d’eux la situation politique se dégrade : la guerre tourne au désavantage de l’armée royale. Le 2 décembre 1975, le roi Savang Vatthana abdique. Le général Tou s’enfuit avec toute sa famille à Bangkok (il partira par la suite aux États-Unis). Il propose à Bounmy de le suivre mais, enceinte d’une première fille, elle refuse de laisser Bounkheut seul au Laos.

Elle part rejoindre son mari à Paksane où elle vit avec sa belle-famille. Suite de la prise du pouvoir par le Parti Communiste Lao, les soldats de l’armée royaliste sont recherchés partout dans le pays. 1978 : Bounkheut fuit en Thaïlande pour échapper aux camps de rééducation. 1979 : il vient chercher sa femme et ses enfants pour les mettre à l’abri.

La famille a déjà deux enfants quand elle arrive au camp de réfugiés de Nongkhai sur la rive du Mékong opposée à Vientiane. Ils y trouvent des conditions de vie extrêmement précaires. Bounkheut travaille aux rizières toute la journée pour un salaire de misère (20 bahts par jour, l’équivalent de 50 centimes d’euro). La famille manque d’argent pour nourrir ses deux enfants en bas âge.

Madame Bounmy cherche alors un moyen de gagner un peu plus. Elle voit d’autres femmes tisser et vendre des Sinhs (jupes traditionnelles laotiennes) aux femmes thaïlandaises. Ce n’est pas cher payé, à 50 bahts le sinh, mais en vendant 20 Sinhs on peut gagner près de 1000 bahts, une fortune pour Madame Bounmy.

Seul problème, Bounmy ne sait pas tisser. Qu’à cela ne tienne, elle va apprendre. Avec l’aide d’une grand-mère laotienne qui lui prête ses dessins, elle tisse un premier Sinh puis un deuxième… Aujourd’hui, elle témoigne qu’elle n’aurait pas pu s’en sortir sans cette vieille femme qui a accepté d’aider une mère de famille en difficulté.

À Nongkhai, Madame Bounmy découvre l’action de Monseigneur Bach et de René Péchard pour aider les réfugiés Laotiens. Chaque mois de l’argent arrive pour soutenir les familles plongées dans la misère des camps. Comme elle parle français, elle peut servir d’intermédiaire entre les volontaires humanitaires internationaux et les familles laotiennes et khamou. Progressivement elle rend service et s’implique. À l’époque, elle est loin de se douter que cela continuerait jusqu’à aujourd’hui.

Derrière son sourire discret et sa grande délicatesse se cachent une volonté de fer et un dévouement extraodinaire.

Quel que soient son âge et ses soucis, Bounmy affiche toujours un sourire discret.

aider les familles

Malheureusement les péripéties continuent. Alors que leur troisième enfant doit bientôt naître, la famille est forcée de déménager dans le camp de Loei plus à l’ouest. L’accouchement se passe mal et Madame Bounmy croit mourir avant finalement de se rétablir. Puis vient un autre déplacement, le dernier, dans le camp de Nakhon Pranom en face de Thakhek. Là-bas Madame Bounmy est sollicitée pour poursuivre son rôle d’interprète. Malgré ses difficultés pour subvenir aux besoins de sa famille, courageusement, elle accepte d’aider les autres réfugiés.

Progressivement le Laos rouvre ses portes aux réfugiés. Nombre d’entre eux repartent dans leur pays. En 1993, Bounmy et Bounkheut décident de revenir, eux aussi, dans leur village près de Paksane. Le retour est difficile, les campagnes sont extrêmement pauvres. Il n’y a pas d’autre choix que de travailler aux rizières pour de maigres récoltes. Bounmy et Bounkheut achètent une petite maison dans le village de Ban Ponxay. Ils la rénovent peu à peu, au gré de leurs économies.

miser sur l'éducation

Madame Bounmy a gardé ses contacts avec Enfants du Mékong. Peu à peu, l’aide s’étend et en 1997 Madame Bounmy a assez d’argent pour ouvrir une petite école maternelle. C’est une idée qu’elle avait en tête depuis longtemps : « Si je retourne au Laos, je veux construire une petite école au village. L’éducation c’est ce qui manque le plus ici, les mères sont coincées chez elle avec leurs enfants, elles ne peuvent pas travailler pour aider leurs familles et les enfants n’apprennent rien, ils n’ont aucune chance de s’en sortir ».

Voilà 20 ans que l’école de Ban Ponxay accueille chaque jour 65 enfants. Madame Bounmy y a connu bien des épreuves, comme cette année où, lors d’une tempête, le toit de l’école s’est envolé ou encore la longue maladie de Bounkheut qui lui a causé beaucoup de souci. Mais avec ténacité Madame Bounmy s’est remise au travail, elle a reconstruit. Car c’est bien ce qui la caractérise : derrière son sourire discret et sa grande délicatesse se cache une volonté de fer et un dévouement extraordinaire. Un incroyable témoignage d’espoir pour tous ces enfants qui vont tous les jours à l’école grâce à la persévérance d’une jeune fille Khamou.

L’école de Ban Ponxay accueille chaque jour 65 enfants

UNE AMITIÉ HISTORIQUE

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