Profession : Bambou

Voyageur, le volontaire Bambou n’est pas pour autant celui qui part simplement à la rencontre d’une autre culture et de sourires d’enfants à l’autre bout du monde. Il ne cherche pas en priorité le dépaysement ou les rencontres exotiques. La première charge du Bambou : c’est travailler. Quatre missions lui sont proposées. Revue d’ensemble.

Texte : Mathieu Delaunay

« Quand un jeune qui a postulé chez nous vient nous voir, on lui présente d’abord toutes les missions. C’est lui qui fait ensuite son choix. » Véronique Tay, assistante volontariat au siège d’Enfants du Mékong à Asnières, s’occupe notamment du recrutement des volontaires Bambous. Et si certains partent pour vivre une expérience d’immersion totale, avec au cœur la volonté de rester statique pendant la période de leur mission, d’autres aiment le mouvement et préfèrent passer leur temps sur les routes à aller de programmes en programmes. D’aucuns encore ont une dimension d’accueil qu’ils souhaitent partager en étant les responsables de foyers. Enfin, depuis quelques temps, les Bambous pro assurent des missions liées à l’insertion professionnelle des filleuls d’Enfants du Mékong. Variés, ces quatre types de missions s’adaptent à tous.

Mission de coordination des programmes de parrainage ©Enfants du Mékong
©Enfants du Mékong
  • Mission de coordination des programmes de parrainage 

« Nous sommes les yeux et les oreilles de l’organisation »

« J’ai 80 programmes de parrainage, donc j’ai à peu près 3 000 enfants à gérer. » Olivia a la pêche, Olivia est en forme et Olivia est au Vietnam ! Si les cinq Bambous qui sont là-bas font figure d’exception aux vues de leur nombre réduit par rapport au nombre d’enfants parrainés, la vie d’un responsable de programme de parrainage (petite structure d’une quarantaine d’enfants dirigée par un responsable local) est sensiblement similaire, des Philippines au Yunnan. « Pendant notre année de mission, notre rôle est de visiter au moins une fois tous les programmes dont on est responsable, pour vérifier que la gestion est bonne, que les directives ont été biens reçues, et surtout qu’elles ont été comprises. »

Le Bambou coordinateur de programme de parrainage est les yeux et les oreilles du siège de l’association sur le terrain. Et s’il en est qui sont obligés d’aller plus vite que d’autres, tous les coordinateurs de programmes de parrainages sont unanimes : leur mission est essentielle et passionnante. « Nous sommes aussi les correspondants des parrains. En allant visiter les familles de filleuls, on prend énormément de renseignements sur ces familles et on écrit des lettres aux parrains pour leur donner envie de continuer leur soutien » explique Anne, elle aussi coordo’ Vietnam. Car si les enfants écrivent quatre fois par an, bien souvent, ces lettres manquent de fond, comme toute lettre d’un enfant de 7 ans.

« Notre charge est aussi de rendre les choses plus authentiques, d’humaniser l’enfant aux yeux de son parrain. Nous sommes des passeurs » conclue celle qui se prénomme, du haut de ses 31 années, la doyenne des Bambous. « Combien de fois ça m’est arrivé de danser devant eux, de faire des trucs improbables pour avoir un sourire, le photographier et l’envoyer aux parrains. C’est notre quotidien. Que ce soit des rencontres, du partage, des petites mains qui prennent les miennes, des sourires, tout ce que je vis est un moment unique qui fera partie de mon année et tout ça formera une belle histoire. » Et déjà, Olivia doit filer. Elle a de nombreux programmes à visiter.

Une bambou rencontre la famille d’un enfant parrainé ©DR
Une bambou rencontre la famille d’un enfant parrainé ©DR
  • Mission de coordination de projet

 « Un projet est une construction, un bâti. »

« C’est à peu de chose près le même principe que pour la coordination de parrainage. Au Cambodge, il y a un responsable de foyer qui s’occupe des projets de construction, de la gestion du centre et qui fait aussi la coordination des parrainages, poursuit Véronique. Les projets sont toujours liés aux programmes. Parce que c’est un responsable local qui attire notre attention : l’école est trop petite, est-ce que vous pouvez nous aider à en construire une plus grande ? ».

En Birmanie, le Père Basilio Ban est aujourd’hui tout à fait conscient de l’importance de l’éducation pour le développement de la région. Lui-même est originaire d’un de ces villages perdus dans les montagnes à plus de 10 heures de 4×4 de Taunggyi. Il souhaite construire un foyer pour garçons qui leur donnerait ainsi la possibilité de poursuivre leur scolarité au collège puis au lycée dans des établissements au niveau bien supérieur à celui que l’on trouve dans les petites villes régionales. Les conditions de vie leur assureraient un environnement stable et de qualité propice à la réussite de leur parcours scolaire et à leur épanouissement. Dans chaque pays d’action de l’association, quelques volontaires Bambous sont dédiés à ces projets de construction. Quand aucun Bambou projet n’est disponible, la gestion revient alors au coordinateur de programme. Ce qui n’est pas étonnant à en croire Véronique Tay, les deux missions sont en fait assez proches : « La différence est surtout dans la tête des gens pour qui souvent un projet est une construction, un bâti, alors qu’un programme de parrainage participe autant au développement de ces zones par l’éducation des enfants. »

Temps d’activité avec Lucille au centre de Samrong ©D.R
Temps d’activité avec Lucille au centre de Samrong ©D.R
  • Mission animation des centres et foyers

 « Nous sommes les grandes sœurs et grands frères de ses enfants, la référence. »

Il est le pater familias, le maître d’internat, le grand frère (ou la grande sœur) de ces lieux où sont rassemblés des enfants. Le foyer est un lieu de vie créé pour répondre à la contrainte d’éloignement de l’école. En plus d’avoir un rôle d’animation primordial, il est aussi le responsable de la gestion financière du foyer.

Lucille et Bruno sont partis à Samrong au Cambodge pour prendre en charge le foyer. « Notre boulot est aussi bien de nous occuper des travailleurs sociaux ou des profs qui viennent donner des cours supplémentaires, que de suivre pas à pas les élèves. Nous les aidons à chercher du travail, des stages et en même temps, nous sommes le grand frère et la grande sœur, la référence. Il y a quelques jours, on a eu ce qu’on appelle une réunion syndicale des jeunes. Ils se mettent tous en groupe et discutent entre eux devant notre bureau à la nuit tombée. Ils étaient en panique depuis plusieurs jours parce qu’on leur a injecté un vaccin gratuit. Or, ils avaient appris par une source non-identifié que le vaccin était vietnamien. Ils étaient morts d’inquiétude, certains ne dormaient pas depuis plusieurs jours parce qu’ils pensaient sérieusement que les Vietnamiens avaient vendu le vaccin aux Khmers pour les tuer en 3 ans ! » Sinouth, 13 ans, a même avoué à son « grand frère et à sa « grande sœur » : « mais si je meurs dans trois ans, je n’aurai même pas le temps de me marier ! » Et Bruno de conclure : « Nous avons donc dû les rassurer en leur précisant que les Vietnamiens étaient avant tout motivés par le business et qu’ils n’avaient aucun intérêt à tuer les Cambodgiens. »

Bruno joue avec les enfants du centre de Samrong ©D.R
Bruno joue avec les enfants du centre de Samrong ©D.R
  • Mission de formation à la vie professionnelle

 « L’objectif est que nos jeunes soient formés par des experts. »

C’est l’une des dernières missions Bambous créées. Le Bambou « nouvelle génération ». En plus d’être responsable de foyer, le Bambou professionnel a une mission qui a été lancée il y a trois ans au sein du centre Christophe Mérieux à Phnom Penh et qui s’étend aujourd’hui à Cebu. « Le Bambou pro’ a des missions qui se passent dans les centres et foyers d’Enfants du Mékong ou dans les centres de soutien scolaire où l’on apporte un triptyque de formation : pédagogique, humaine et professionnelle explique Guillaume d’Aboville, directeur de la communication d’Enfants du Mékong. L’idée est que nos jeunes soient formés par des experts. Nous avons par exemple beaucoup d’étudiants du centre Mérieux qui sont à l’ITC (Institut de technologie du Cambodge) qui font des études pour devenir architectes. Un salarié de la société Artelia (bureau d’étude en génie civil et en hydraulique, ndlr) est venu spécialement de France pendant quinze jours au centre former ces jeunes khmers. »

Le Bambou pro’ a donc quatre missions : d’abord, identifier les besoins, mettre en place des modules, demander et accueillir les gens qui viennent faire des formations. Son deuxième rôle est de sensibiliser les étudiants au monde de l’entreprise en organisant des visites de l’entreprise, faisant venir des entrepreneurs locaux ou non et apprendre à élaborer leurs CV et lettres de motivations. « Ces choses qui semblent évidentes pour nous ne le sont pas là bas ! La plupart de nos jeunes viennent de la rizière. Comment voulez-vous qu’ils connaissent ça ? » Le Bambou pro’ a aussi la tâche de fédérer un club des anciens. « Beaucoup d’anciens s’en sont très bien sortis ! Nous voulons les réunir autour de thématiques et de moments festifs pour mettre en place un réseau d’amitié, pour qu’ils s’aident les uns les autres. » Enfin, ces Bambous pro’ doivent aussi partir en quête de partenariats locaux. « Le centre Christophe Mérieux a des coûts de fonctionnement qui sont financés essentiellement par la France mais il peut y avoir des partenariats locaux à trouver. Par exemple, une entreprise d’internet khmère pourrait prendre en charge les frais internet du centre. C’est le rôle du Bambou pro’ de mettre en place de tels partenariats. »

Quelque soit la mission, la motivation est une raison déterminante pour être sélectionné. «

. Les missions sont difficiles. Tous les Bambous ont un jour ou l’autre une période très compliquée. Si on ne pense qu’à soi, on se dit au bout de six mois que le tour de la question a été fait. » Être Bambou, c’est donc ne pas travailler à faire le tour de soi, mais c’est s’oublier, vivre et travailler à la grandeur de l’autre.

Mathieu Delaunay