« J’ai découvert le cœur de l’Asie »

Olivier Dauphin est le pionnier des Bambous. Parti en 1988 pour ouvrir le bureau de Bangkok, il est le premier volontaire à avoir été envoyé sur le terrain par Enfants du Mékong. Il nous livre ici ce qu’il a retiré de ces deux ans en Thaïlande avec 25 ans de recul.

Propos recueillis par Antoine Besson.

Comment a commencé votre aventure avec Enfants du Mékong ?

À l’inverse de tous mes amis qui partaient aux quatre coins du monde pour  des organisations  humanitaires, la première fois que je suis parti en Asie, je n’ai fait qu’écouter et observer. J’étais avec René Péchard, le fondateur d’Enfants du Mékong, en mission en Thaïlande dans les camps de réfugiés. J’y ai vécu des rencontres très riches et variées. Le travail et la bonté de René Péchard, du père Pierre, et de beaucoup d’autres encore m’ont beaucoup marqué. Quand je suis revenu à Paris j’étais conquis par l’état d’esprit de l’association. Je voulais aider cette œuvre qu’un homme avait créé et qu’il portait à bout de bras alors qu’il arrivait au terme de sa vie. J’ai senti que je serais vraiment utile. En 1988, je suis donc parti deux ans faire mon Service National à Bangkok pour Enfants du Mékong.

Quelle était votre mission ?

J’ai ouvert le bureau de Bangkok. Ma mission consistait à me rendre dans les différents camps et à rencontrer les personnes qui étaient chargées d’acheminer les différentes aides qu’apportait l’association, que ce soit l’aide financière avec les parrainages ou l’aide morale avec le courrier. Je devais aider mais de manière discrète car tout cela était illégal. Les camps de réfugiés étaient administrés par les Nations-Unies et il était hors de question d’y introduire de l’argent. Certains d’ailleurs ne comprenaient pas le sens de cette aide financière personnalisée. Dans l’un des camps, cet argent qui arrivait régulièrement n’était plus appelé des dollars ou des baths mais des Péchards. Le fondateur d’Enfants du Mékong – qui passait chaque année un mois et demi dans les camps pour visiter et soulager ses amis – voulait leur offrir la possibilité de choisir de leur plein gré d’acheter de la viande, des médicaments, ou des vêtements pour leurs enfants.

C’est dans cet esprit d’amitié que s’est créé le parrainage à l’origine. C’est une intuition extraordinaire de René Péchard. Quand il était dentiste au Laos, il a reçu des demandes d’aide, particulièrement pour les enfants eurasiens qui  étaient souvent des enfants illégitimes de militaires repartis chez eux. L’ambassade de France s’était alors saisie du problème. Elle avait demandé à René Péchard s’il ne pouvait pas trouver une solution pour les aider sachant qu’il l’avait déjà fait pour deux jeunes garçons. Au lieu de reculer devant le nombre considérable d’enfants dans le besoin et de refuser, le fondateur d’Enfants du Mékong a décidé de les aider un par un en trouvant à chacun une famille en France qui puisse le parrainer. C’est cette même logique qu’il a continué à appliquer dans les camps.

Je trouve que cet exemple très inspirant. Ce qui n’était pas possible en considérant la masse, René Péchard l’a accompli en considérant l’individu et en décomposant son effort. C’est ainsi que cet  homme a mis en place plus 2500 parrainages.

Olivier Dauphin ©Enfants du Mékong
Olivier Dauphin ©Enfants du Mékong

Vous étiez là lorsque René Péchard est mort je crois…

J’avais 22 ans à l’époque et ça a été évidemment un moment fort. C’était mon dernier week-end en France avant mon départ en mission pour deux ans. Il m’avait appelé pour que je l’aide lors d’une conférence près de Nogent-le-Rotrou. René Péchard avait 76 ans mais il était physiquement épuisé. Dès qu’il partait en conférence, il donnait toutes ses forces et son énergie pour aider ses amis réfugiés. Il s’est éteint dans un lit d’enfant chez des amis de l’association.

Qu’avez-vous retiré de votre expérience de Bambou ?

Je retiens de cette expérience que beaucoup de choses sont possibles d’abord par amour. J’ai voyagé par la suite en Asie pour des raisons professionnelles ou personnelles,  mais le cœur de l’Asie je le connais par Enfants du Mékong, et à travers les rencontres de ma mission. Cette association a une spécificité dans sa manière de faire un pont entre les hommes et les femmes d’Occident et ceux d’Asie.

C’est la dimension d’accompagnement des populations qui fait la force d’Enfants du Mékong. Par exemple, lorsque Christine Lortholary-Nguyen, notre Présidente, dit « Nous allons enrayer la croissance des bidonvilles en Asie », cela peut paraître utopique. C’est pourtant le sens de notre action. Enfants du Mékong est une association qui a un rôle très particulier du fait de sa fidélité aux populations qu’elle accompagne et de sa confiance et sa bienveillance à l’égard des jeunes générations d’ici et là-bas.

Olivier Dauphin ©Enfants du Mékong
Olivier Dauphin ©Enfants du Mékong

 Mais la tache n’est pas aisée. En tant que volontaire Bambou, nous pouvons être confrontés à des décisions ou responsabilités qui nous dépassent. Quand le père d’une famille de boat-people vous demande votre avis sur un pays d’exil (le plus souvent la France ou les Etats-Unis),  savoir ce qui est le mieux pour sa famille n’est pas évident à 22 ans. Être confronté à des événements ou  des situations peu ordinaires fait mûrir.

 

Antoine Besson