Quelque chose est en train de changer au Vietnam
Quelques mois après la mort du président Tran Dai Quang et la réorganisation politique du Vietnam, Benoit de Tréglodé, directeur de recherche à l’Institut de Recherche Stratégique de l’Ecole militaire, déchiffre les enjeux régionaux et les mutations politiques du pays.
Propos recueillis par Antoine Besson
« Traditionnellement au Vietnam, le poste de Président est un poste plus honorifique et moins important que le poste de Secrétaire Général du Parti ou même de Premier Ministre. Le triumvirat –l’alliance entre le Président, le Premier Ministre et le Secrétaire Général du parti – a toujours favorisé le poste de Secrétaire Général du Parti communiste qui est le poste prépondérant. Pourtant les relations sont conflictuelles et déséquilibrées entre ces trois postes de pouvoir. Ils reviennent à des personnalités issues des trois Ky, les trois régions du Vietnam : le Nord, le Centre et le Sud, pour des raisons essentiellement de représentativité démographique et de clientélisme. Chacun de ces postes irrigue en effet tout un ensemble de décideurs et d’officiels qui sont en réalité les membres d’un même clan, depuis la tête de l’Etat jusqu’à la base, dans les villages.
Cette architecture institutionnelle a permis au système d’être équilibré et de se maintenir au pouvoir dans un pays qui est fortement divisé, marqué par une guerre civile entre les Vietnamiens du Sud et du Nord. Cette symbolique du pouvoir ancré dans des logiques territoriale et culturelle du pays a toujours été essentielle pour le parti. Depuis la chute de Saïgon en avril 1975 et la réunification du pays, l’obsession des dirigeants vietnamiens a toujours été de donner de l’importance, dans la représentativité politique du pouvoir, aux dirigeants originaires du Sud Vietnam tout en gardant l’ascendant idéologique avec des gens formés au Nord. C’était la règle première du parti communiste vietnamien pour maintenir son assise nationale. La récente fusion des postes de Président et de Secrétaire Général du Parti remet donc en question cette organisation historique.
D’un point de vue contextuel, cette réorganisation politique signifie que quelque chose est en train de changer au Vietnam : l’ADN subversif et rebelle du Sud Vietnam s’est affaibli depuis quarante ans. Les disparités géographiques sont moins dangereuses et ne nécessitent peut-être plus cette représentativité territoriale pour gérer le pays. Ce projet, déjà à l’agenda du gouvernement en 2016, s’est concrétisé en 2018 à l’occasion de la mort du Président Tran Dai Quang. Le Secrétaire Général Nguyen Phu Trong est devenu de facto l’homme fort du régime. L’objectif de ce dernier est de concentrer le pouvoir et de réduire les oppositions internes.
La nature de ces oppositions internes n’est pas celle que nous croyons. Je suis convaincu qu’il n’y a pas de faction progressiste ou conservatrice au sein de l’élite vietnamienne. Il n’y a pas un dirigeant politique à l’assemblée nationale aujourd’hui, au comité central du parti communiste vietnamien et naturellement au bureau politique, qui ait une volonté progressiste au sens où nous l’entendons en Occident. Personne n’y défend l’ouverture au multipartisme ou un ancrage plus clair dans le camp occidental : c’est un fantasme occidental. Ce qui est évident, c’est que la modernité politique aujourd’hui, aux yeux des Vietnamiens, qu’il s’agisse du peuple ou des élites politiques, n’est plus forcément représenté par le modèle occidental. Le Vietnam a pris conscience que les sources de modernité peuvent être asiatiques. Ces nouveaux modèles permettent de penser développement, contentement de sa jeunesse et enrichissement global de la société à travers des modèles politiques compatibles au leur (c’est-à-dire non démocratiques au sens occidental du terme). Pour simplifier les choses : ils concilient modernité économique et conservatisme politique. » Benoit de Tréglodé, directeur de recherche à l’Institut de Recherche Stratégique de l’Ecole militaire.
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