Philippines : vers la paix à Mindanao ?

Le 22 février 2019, la Bangsamoro, dans l’île de Mindanao au sud des Philippines, est devenue la seule région autonome du pays à posséder son propre gouvernement. Pour François-Xavier Bonnet, géographe spécialiste des questions de sécurité en Asie du Sud-Est, il s’agit d’une avancée historique mais fragile.

Propos recueillis par Antoine Besson

Après 21 ans de longues et laborieuses négociations entre le gouvernement et le Front Islamique de Libération des Moros (MILF – Moro Islamic Liberation Front), entrecoupées d’offensives militaires (dans les années 1998, 2003 et 2008), le président Duterte signait, le 28 juillet 2018, la loi organique de la Bangsamoro (BOL – Bangsamoro Organic Law).

Ce geste historique, par le premier Président originaire de Mindanao, entérine symboliquement la fin de la guerre avec le MILF. La nouvelle loi a remplacé début 2019 l’ancienne Région autonome du Mindanao musulman (ARMM- Autonomous Region of Muslim Mindanao), créée en 1989 et renforcée en 2001, par la Région autonome du Bangsamoro au Mindanao musulman (BARMM – Bangsamoro Autonomous Region in Muslim Mindanao), la première du pays à disposer de son propre gouvernement.

Cette nouvelle organisation a été plébiscitée en 2019 par la population de l’actuelle ARMM et des provinces limitrophes (dont 39 villages de la province de North Cotabato et six villes de la province de Lanao del Norte qui avaient voté leur inclusion à l’ARMM en 2001) qui ont voté à 88,7% des voix en faveur de la BOL en début d’année. Une Autorité de transition de la Bangsamoro, composée de 80 membres nommés par le président Duterte et menée par le MILF, dirige actuellement la BARMM jusqu’à la première élection de mai 2022.

Une paix fragile

Il s’agit donc pour le Président Duterte et son gouvernement d’une victoire importante puisque la paix dans le sud des Philippines était l’une des priorités de son mandat. Cependant, si la nouvelle autonomie est acquise, elle n’est pas à l’abri d’un sabotage.

En effet, les groupes armés dans cette région sont nombreux et ne sont pas tous mus par les mêmes intérêts. Outre le MILF qui a accepté lors du processus de paix de rendre les armes, nombreux sont ceux qui, à l’origine, se sont opposés au processus de paix avec le gouvernement. Face à la création imminente de la BARMM, certains d’entre eux semblent cependant s’aligner aujourd’hui sur les positions du MILF.

Ainsi, par exemple, sur les trois factions qui forment le Bangsamoro Islamic Freedom Fighters (BIFF), un groupe dissident du MILF depuis 2010, deux factions pourraient accepter de reconnaître la BARMM. La troisième faction, affiliée à Daech et dirigée par le commandant Turayfie, refuse toute communication avec le MILF. Le commandant Turayfie est responsable de deux attentats dans le centre de Mindanao, le 28 août et le 2 septembre 2018, qui a fait cinq morts et une quarantaine de blessés. Par ailleurs, des émissaires du MILF ont été envoyés pour rencontrer Nur Misuari, leader historique du Front moro de libération nationale (le MNLF, l’autre grande entité indépendantiste qui avait négocié le premier accord de paix avec le gouvernement Ramos en 1996 et avait obtenu quelques avancées pour l’autonomie de l’ARMM en 2001) pour le convaincre de reconnaître la BARMM.

Ces efforts de réunification des principaux groupes rebelles, MNLF et MILF, menés par les négociateurs de l’OCI depuis les années 1990, ont toujours été vains. Seules deux factions du MNLF (dirigées par Muslimin Sema et Yusoph Jikiri) ont travaillé avec le MILF dans le processus d’élaboration de la BOL.

Quelques chiffres :

21

années de négociations de paix

entre le gouvernement et le MILF

1 000

combattants tués parmi les groupes
apparentés à Daech durant le siège de Marawi

50 000

réfugiés

Risques de sabotage

Un an après la fin des combats entre le gouvernement philippin et des groupes armés (Maute et Abu Sayyaf) apparentés à Daech dans la ville de Marawi, la menace terroriste est persistante.

Certes, ces groupes ont perdu environ 1 000 combattants durant les cinq mois de siège de la ville, dont des étrangers venant essentiellement d’Asie du Sud-Est, et aussi du Moyen-Orient. Mais, le « trésor de guerre » provenant du pillage des banques et des maisons des riches résidents de Marawi semble être encore aux mains de ces groupes et utilisé pour recruter de nouveaux membres.

Or, le processus de reconstruction de la ville de Marawi, très endommagée, tarde, alors que des milliers de familles (environ 50 000 personnes) vivent dans des camps de réfugiés. Ces délais alimentent le mécontentement de la population locale, rendant certaines personnes vulnérables à la propagande de Daech. La présence des islamistes dans la région pèse comme une lourde menace contre les projets de fédéralisme de la région.

?‍? ZOOM SUR : Une nouvelle forme de terrorisme

Depuis l’année 2018, une augmentation sensible d’arrivées, ou tentatives d’arrivées, d’étrangers affiliés à Daech, tant occidentaux qu’originaires du Moyen-Orient, cherchant à se réfugier sur l’île de Mindanao et les îles de Sulu et Basilan, a été observée.

Ainsi, quelques mois après la fin du siège de Marawi, un Espagnol d’origine tunisienne, Abdelhakim Labidi Adib, âgé de 20 ans, était arrêté sur l’île de Basilan en possession d’explosifs dans son sac à dos et en compagnie de membres d’Abu Sayyaf. Il était le premier Européen connu à avoir voyagé jusqu’aux Philippines et à être entré en contact avec un groupe affilié à Daech. D’autres Européens ont eu moins de succès et ont été stoppés à leur aéroport d’origine, en transit (un Britannique, deux Allemands, et peut être un Suisse), ou à l’aéroport de Manille (deux Français).

Au-delà de ce flux d’étrangers encore ténu, Daech semble aussi exporter ses techniques de combat aux Philippines. Le 31 juillet 2018, sur l’île de Basilan, un minibus rempli d’explosifs a sauté sur un point de contrôle tenu par l’armée, tuant onze personnes, dont le chauffeur, un Marocain. Le drame aurait pu être encore plus tragique dans un contexte où il apparaît que la véritable cible était une école, dans la ville voisine de Lamitan, où étaient rassemblés quelques trois mille enfants dans le cadre d’une compétition sportive. Cette attaque suicide est une première dans l’histoire contemporaine des Philippines.

Pour en savoir plus sur les populations déplacées aux Philippines :

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