Dans l’oeil du Typhon – Philippines

Le 16 décembre 2021, le typhon Odette frappé les Visayas aux Philippines avec une force rare. Six mois plus tard, le pays se reconstruit petit à petit, les habitants s’organisent et reconstruisent par eux même leur environnement.

Matthieu et Cécile Emery sont volontaires Bambous aux Philippines. Le 16 décembre 2021, à 18 h, leur route a croisé celle d’un typhon nommé Odette. Pour le couple de jeunes Français parti servir les plus pauvres dans la grande ville de Cebu, le choc fut brutal. Un choc à 260 km/h. Mais au cœur de la catastrophe, les Bambous ont découvert une force et des ressources incroyables chez leurs amis philippins. Ils nous font part de leurs émerveillements et de leurs questions.

À Cebu, jeudi 16 décembre, alors que nous préparions  une fête de Noël pour les filleuls du bidonville d’Inayawan,  Odette s’est invitée à l’improviste. Tonitruante, elle a frappé aux portes de la ville de Cebu City après s’être heurtée  encore plus violemment aux îles de Mindanao et de Bohol, semant le désastre  derrière  elle. Odette (aussi prénommé Rai en code international) est un super typhon  qui a dévasté l’est des Visayas, la région centrale de l’archipel. Leyte, Negros et de nombreuses  autres îles ont subi les mêmes assauts violents de la nature en colère. Car le typhon était d’une grande violence : des pluies diluviennes, cinglantes, des vents assourdissants dépassant 200 km/h, soulevant les toits de tôle ou même de plus robustes, démolissant des murs, balayant barrières, poteaux, emportant les enseignes commerciales et explosant baies et vitrines sur son passage. Forcément, face à pareil déchaînement, nous ne pouvions  que nous inquiéter  pour la vie de ceux que nous côtoyions depuis quelques mois.

L’attente  fut longue, mais nous savons aujourd’hui, un mois après Odette, que l’ensemble des filleuls de l’association Enfants du Mékong, les responsables de programme, les volontaires Bambous, les amis et collègues philippins sont, par je ne sais quel miracle, sains et saufs. Mal- heureusement, des filleuls ont perdu des proches lors de ce drame.

 

 

Matthieu et Cécile en compagne d’Ate Helen, responsable du cCnetre d’Inayawan près de Cebu, durement touché par le typhon.
Malgré la catastrophe, les Philippins gardent le sourire et n’hésitent pas à s’entraider

«TANT QU’IL Y A DE LA LUMIÈRE, IL Y A DE L’ESPOIR ! »

En un certain  sens, les Philippins  nous donnent une véritable leçon de vie : dès le lendemain de la catastrophe, les voilà qui se sont tous mobilisés pour dégager les rues encombrées d’arbres, de câbles électriques, de verre et autres projectiles ou déchets. Ils sont tous actifs et cela dans le calme, un vrai esprit d’équipe règne et chacun met de son courage, de sa générosité pour aider. Ce dynamisme collectif est incroyable et beaucoup retrouvent le sourire dans l’action.

Au Centre  Enfants  du Mékong de Cebu City, sourire aux lèvres, les 56  étudiants parrainés nettoient, coupent  les arbres tombés, récupèrent ce qu’ils peuvent… La joie est présente. Ce vendredi, où le soleil brille à nouveau, un étudiant s’est exclamé : «Tant qu’il y a de la lumière, il y a de l’espoir ! » Quelle belle leçon! Malgré les difficultés, ils arrivent à trouver les éléments positifs qui permettent d’avancer. Ils sont magnifiques de courage et d’entrain. Nous n’avons perçu aucun  état de panique  auquel  nous aurions pu nous attendre, aucun  cri. Pas de scènes de pillage de boutiques à Cebu ou ailleurs. Et pourtant il n’y a presque plus rien : ni électricité, ni essence et les vivres risquent  de manquer. Au contraire,  les Philippins  font la queue, attendent leur tour pour acheter de l’eau, un des rares produits accessibles au lendemain de la catastrophe, mais qui viendra rapidement à manquer. Toutes les cantines et les magasins alimentaires du quartier sont fermés.

« J’AI EU TRÈS PEUR »

La plupart des habitants de Cebu City n’avaient jamais connu pareil traumatisme et n’étaient  absolument pas préparés. Mais ils ont foi en leur capacité à rebondir.  Les plus démunis, qui n’ont presque rien, ont perdu jusqu’à l’indispensable. Comment être correctement à l’abri face à une telle violence quand son foyer ne tient qu’à quelques bouts de bois et de tôles ? « Le 16 décembre 2021 fut un jour mémorable et douloureux pour nous, témoigne Generie Baoya, une filleule d’Enfants du Mékong. (…) Mon père, mon frère, mes cousins et mon beau- frère ont essayé de retenir le toit à cause des vents violents, mais nous ont prévenus qu’il serait bientôt détruit. (…) Nous avons été piégés par les grands arbres qui gisaient sur le sol et les débris des maisons détruites. Nous nous sommes enfuis vers les arbustes près de notre maison et avons crié à l’aide. Nous sommes restés là pendant environ deux heures, allongés sur les herbes pour ne pas être touchés par les toits qui volaient. Nous avions avec nous deux femmes enceintes, un bébé de cinq mois, un enfant d’un an et deux enfants de deux ans. J’ai eu très peur.»

À Inayawan, un autre Centre d’Enfants du Mékong, situé dans un bidonville autour de la décharge de la ville de Cebu, quelques familles, venues trouver refuge et réconfort, partagent leur vécu : « Moi, mon toit est parti comme ça… », « Moi, après, ma casserole a volé comme ci… ». Ils en parlent  avec le sourire. Comment font-ils ? Est-ce un détachement à l’égard des biens matériels qui leur permet de garder le moral ou tout simplement parce qu’ils sont encore en vie après la catastrophe ? Nous apprenons à accepter d’être désarmés par ce mystère « du mal », cette injustice. Pourquoi encore une Nième difficulté pour ces jeunes et leurs familles ?

L’eau potable est devenue une denrée rare et précieuse. Certains enfants ont dû dormir dans la rue pour attendre leur tour et acheter de quoi boire.

 

« L’eau était extrêmement difficile à trouver et les tarifs étaient exorbitants. J’ai dû dormir dans la rue pour en obtenir »

ATTENDRE POUR SURVIVRE

Les Philippins font la queue dans les magasins alimentaires, les stations service (utile pour les générateurs électriques ou pour aller chercher du ravitaillement dans les villes au nord) ou les banques (il faut avoir du liquide désormais pour payer, car aucun terminal de paiement ne peut être utilisé sans électricité). Les files d’attente sont impressionnantes, gigantesques : ils patientent des heures sous un soleil de plomb, dans un calme apparent, et n’hésitent pas à faire des kilomètres voire à changer d’île pour trouver ce dont ils ont besoin. Les supermarchés habituellement très garnis se vident. 48 heures après le typhon, de nombreuses stations-service ferment : elles sont désormais à sec. Ceux qui arrivent à avoir une connexion nous font part  des nouvelles : l’électricité ne reviendra peut-être que dans un mois, soit fin janvier 2022. Le 23 décembre, une hausse des prix des transports survient. Le problème majeur est toujours le manque d’eau. Rean Joy Carillo témoigne : « L’eau était extrêmement difficile à trouver et les tarifs étaient exorbitants. J’ai dû dormir dans la rue pour en obtenir ». D’autres, comme à leur habitude, vont au puits, mais doivent désormais payer 50 pesos philippins (presque un euro) pour le gallon (contre 25 PHP auparavant). Une somme importante pour ceux qui sont sans revenus et désormais sans maison. Comment certains peuvent-ils profiter de la situation et augmenter le prix d’un bien vital ?

Vers le 26 décembre, le réseau téléphonique revient peu à peu à Cebu City, mais il n’y a toujours pas d’eau et l’électricité est un bien rare : nous redécouvrons la valeur du jour ! Inhabituellement dense, la circulation reste organisée, et cela même sans l’usage des feux tricolores. Inouï !

UNE ÉQUIPE SOLIDAIRE

Pour les volontaires Bambous, le terrain n’a eu de cesse de primer : composer des sacs de biens de première nécessité, prendre la route, multiplier  les distributions alimentaires, visiter les jeunes et leurs familles, prendre du temps avec eux, entendre et répondre  aux besoins… Être présents et disponibles est le cœur d’action de la mission. Les Bambous des zones non sinistrées sont arrivés dans les zones touchées par le typhon pour former des équipes et s’épauler. Les volontaires de renfort ont pu apporter avec eux des pilules pour rendre l’eau potable, des batteries solaires, des lampes torches, des lingettes, des piles et de l’argent liquide. Mais surtout leur aide et motivation si précieuses. C’est à pied que nous partons dès le lendemain du typhon, car les rues ne sont pas encore dégagées, même les habal-habal (moto-taxi locale) sont bloqués. Odette a rendu certains lieux et quartiers méconnaissables.

La solidarité est à l’œuvre dans les quartiers. Tous se mobilisent pour dégager les arbres tombés.

 

Pour rappel le 16 décembre 2021, le typhon Odette a frappé les Visayas avec une force rare dans ce pays pourtant habitués aux catastrophes climatiques.

COMPTABILISER ET RECONSTRUIRE

À Cebu City, ville dense, polluée et poussiéreuse, chaque arbre avait son importance. Avec le typhon, le vert de la ville s’atténue encore. Dans le petit Centre Enfants du Mékong d’Inayawan, le manguier près de la cuisine, avalé par le typhon, a entrainé dans sa suite le préau, lieu essentiel pour la communauté. S’y rassemblaient les jeunes du programme, les parents lors des formations, les volontaires philippins qui y organisaient et y distribuaient chaque semaine des alimentaires pour 150 familles du quartier, les préparations des déjeuners des enfants des crèches… Il faudra le rebâtir !

Ate Helen, la responsable  du Centre d’Inayawan, est une femme incroyable qui, du haut de son mètre soixante, a su ériger, orchestrer et accompagner ce beau programme  de parrainage qui regroupe 49 filleuls actuellement, 98 personnes âgées, une centaine d’enfants en garde- ries et leurs parents  : toute une communauté qui vit grâce à elle et aux parrains et marraines de l’association. Ate Helen, deux jours après le typhon, encore émue, se sent dépassée.  Nous essayons de la rassurer  et de lui apporter notre soutien.

Heureusement, Ate Helen ne se laisse jamais abattre très longtemps. Comme toujours elle est incroyable et encore une fois elle va nous aider afin qu’ensemble nous puissions noter les dégâts, faire des devis pour reconstruire !

Tant qu’Ate Helen et sa communauté sont là, l’âme et la joie du quartier perdurent. Plus d’un mois après, la situation dans les bidonvilles s’améliore peu à peu. Les réapprovisionnements plus réguliers des supermarchés permettent d’aider plus aisément.  Certains n’ont toujours pas retrouvé l’électricité. Les filleuls et leurs familles sont ceux qui seront affectés le plus longtemps. En zone rurale, certains parents ont également perdu leur barque ou leurs plantations. Il faut 20 ans pour qu’un manguier donne des mangues, 7ans pour avoir des noix de coco et 2ans pour des bananes. Ce sont des centaines de familles qui se retrouvent sans ressources à moyen terme. Mais les conséquences matérielles ne doivent pas non plus masquer les traumatismes vécus par nos filleuls comme en témoignait Generie Baoya :  » C’est une expérience vraiment traumatisante, l’expérience d’une vie, et on ne l’oubliera jamais. C’était tellement horrible ! Une expérience indélébile en effet. »

Enfants du Mékong se mobilise pour venir en aide aux victimes du typhon Odette. Nous soutenons actuellement nos filleuls, leurs familles et la communauté en fournissant des produits de première nécessité (eau, nourriture…). Nous évaluons les dégâts dans le but de réparer et reconstruire les habitations ainsi que nos infrastructures scolaires.

Vous pouvez aussi les aider en soutenant le projet d’urgence mise en place.

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