Leur joie de vivre fait plaisir à voir

Marjolaine Farré, adjointe au responsable pays et coordinatrice de programmes de parrainage aux Philippines pour l’année 2018/2019, nous raconte sa mission.

« Un pays, une culture et deux missions

Voilà bientôt huit mois que je suis arrivée aux Philippines et déjà tant à raconter : un pays, une culture et deux missions passionnantes. Il n’est pas forcément évident de trouver les mots pour expliquer ce que je vis, mais voici quelques tranches de vie et premières impressions.

Ma mission de coordinatrice de programmes

J’ai commencé ma mission par une trentaine de visites de filleuls, de leurs familles et de leur maison afin de me rendre compte de leur environnement. Plusieurs fois, ma gorge s’est nouée. Les maisons sont petites, parfois une unique pièce pour 8 personnes, en bambou, avec un toit en tôle et le sol est en terre. Autant dire que la famille patauge facilement dans 10cm de boue lorsqu’il pleut !

Quand la maison est en meilleure condition, c’est bien souvent une maison offerte par la Croix Rouge après le typhon Yolanda qui a touché les Philippines le 13 novembre 2013. Ce typhon, l’un des plus violents jamais enregistrés, a fait 6 340 morts et laissé de nombreux philippins sans toit. Les philippins échangent très facilement sur cette période, sur les émotions ressenties alors ou encore sur les mois suivants où il a fallu réapprendre à vivre et tout reconstruire.

Tricycle local ! ©Marjolaine F., bambou Philippines
Tricycle local ! ©Marjolaine F., bambou Philippines

C’est le cas de Gérald Cataag, jeune garçon de 19 ans, qui raconte, ému, qu’il a ressenti un profond désespoir suite au typhon qui a détruit sa maison. L’avenir lui est alors apparu bien sombre. Tous les cocotiers – unique source de revenus de ses parents – déracinés, la famille ne pouvait compter que sur l’aide de la communauté et d’associations humanitaires pour survivre. C’est ainsi que sont entrés dans sa vie la Croix Rouge et Enfants du Mékong, sous les traits de Sister Belen de la communauté de l’Eau Vive, responsable locale et bénévole du programme : il a alors pu reprendre espoir et le chemin de l’école afin de pouvoir aider plus tard sa famille.

La veille de ce témoignage, j’avais visité en fin de journée ce même garçon. Pour accéder à sa maison dans le Barangay (quartier) de Paglucsoon, Ormoc, nous avons marché 45 minutes dans la boue, les hautes herbes et sous la pluie, à la lumière de nos portables. Nous avons été accueillies par Gérald, gardant ses 7 frères et sœurs, à la lumière d’une bougie, la maison n’ayant pas l’électricité. Rapidement, il se moque gentiment de moi avec mes pieds noirs de saleté et toutes ces projections de boue sur mes habits… En effet, les Philippins sont champions pour marcher en tongs et ne pas se salir les pieds ! Mais il m’explique « tricher » tous les jours : pour parcourir ce même chemin et aller à l’école, il revêt un short et des tongs, et ce n’est qu’une fois arrivé à la grande route, qu’il met son bel uniforme et ses chaussures noires.

Rapidement, je me suis demandée ce que je pouvais apporter à ces enfants si débrouillards et ayant vécu ou vivant encore des choses tellement dures ?

La réponse m’est apparue lors des premiers meetings auxquels j’ai assisté : avec de nombreux jeux, chaque moment passé ensemble est un moment d’insouciance, de joie et de répit dans leur quotidien difficile. Pendant les meetings EDM (Enfants du Mékong), ils sont entourés d’autres jeunes et n’aident pas leurs parents à la maison ou aux champs. Du coup, j’essaye à chaque fois de venir avec un jeu, une activité manuelle ou une activité permettant de « grandir ». Leur implication dans toutes les activités que je propose me réchauffe le cœur et c’est une joie de les retrouver à chaque fois !

Toujours partants, ils sont, par ailleurs, très talentueux et créatifs : ils dansent, chantent, jouent de nombreux instruments et récitent des poèmes personnels très facilement. Rien ne leur fait plus plaisir que de les laisser exprimer cette créativité. Ils crient, rient et cette joie de vivre fait plaisir à voir. Belle claque lorsqu’un petit garçon, pas bien âgé, arrive sur scène avec une guitare aussi grande que lui et se met à chanter « The House of the Rising Sun » des Animals devant une centaine de personnes sans éprouver la moindre timidité !

Si je devais décrire les Philippins par 3 adjectifs, je donnerai les qualificatifs suivants : souriants, courageux et talentueux. Et chaque jour, j’apprends d’eux une nouvelle et belle leçon de vie !

A côté de ma mission, je m’acclimate doucement à la culture philippine. J’apprends notamment à prendre et perdre mon temps : les Philippines attachent une réelle importance aux bonnes relations entre tout un chacun, aussi faut-il d’abord connaître quelqu’un, l’apprivoiser comme le renard dans le Petit Prince, avant de faire « affaire »… Concrètement, ça se traduit par de nombreuses après-midis et soirées passées à discuter de tout et de rien avec les responsables de programme avant de pouvoir aborder les sujets de fond, comme des décrochages scolaires, des grossesses précoces ou des situations familiales complexes. Autant dire qu’ici, j’apprends à ronger mon frein : l’efficacité et la productivité encouragées en France ne sont plus de mise… Ça n’a pas été évident au début mais finalement c’est dans ces moments de partage que j’en apprends le plus sur les Philippines, sur leur culture si différente de la nôtre et aussi sur moi-même !

Je m’adapte aussi à leur spécialité culinaire, à savoir le riz matin, midi et soir. Je prends désormais mes douches froides sans tiquer et je commence à préférer le sceau au pommeau. Je reste peu assurée à la vue d’une araignée de la taille de ma main dans ma chambre mais je peux m’endormir. Tant de petites victoires sur moi-même !

Et une dernière victoire, pas des moindres : la maîtrise des transports philippins ! Que ce soit les jeepneys, les habal-habals, les tricycles ou les bankas, plus aucun n’a de secrets pour moi…

Ma première expérience de habal-habal, moto-taxi, le jour de mon arrivée fut mémorable. Allégée à l’aéroport par l’absence de ma valise (…), Cécile, ma prédécesseur et moi avons privilégié ce moyen pour rejoindre le centre à Banawa, Cebu City et ainsi éviter le trafic. Autant dire qu’avec un sac de 11kg sur le dos, un casque bien trop grand qui partait en arrière et la peur de me tenir au conducteur, j’ai fini au bord de l’épuisement avec des jambes tremblantes ! Le habal-habal n’hésite pas à se faufiler entre les voitures et autres moyens de transport pour gagner un peu de temps, quitte à les frôler… Mais heureusement, le conducteur prévient de sa présence en klaxonnant comme un fou ! Autant dire que c’est rapidement une cacophonie.

Enfin, je ne vous cache pas que je vis des nombreux moments durs aussi… Ma famille et mes amis me manquent mais dans ces moments, j’essaie de relativiser et je me remémore les quelques histoires de filleuls qui m’ont particulièrement émue. Bien souvent, je ne peux résoudre leur problème mais si je suis ici, c’est avant tout pour eux et je veux faire mon maximum pour les aider ! Déjà les écouter est important. Voici quelques histoires que je souhaiterais vous partager :

John Mark, 14 ans, livide après s’être coupé le doigt avec une paire de ciseaux. Je le soigne : au début, John Mark est mal à l’aise de tant d’attentions devant ses copains, mais rapidement son comportement change. Sa jambe tremble, je lève les yeux : il est au bord des larmes. Il me remercie de s’occuper de lui comme une mère, puis il se confie : sa mère a trouvé un emploi de femme de ménage en Arabie Saoudite et va bientôt partir pour pouvoir gagner plus d’argent et l’envoyer à la famille. John Mark est triste, il n’est même pas sûr que sa mère sera là pour les fêtes de Noël. Pour s’occuper de lui et de ses frères et sœurs, son père rentre de Cebu City, où il est parti il y a quelques années pour trouver du travail. Cela le réconforte un peu, mais il m’avoue ne même pas se souvenir de la dernière fois qu’il l’a vu… Ces sacrifices, fréquents aux Philippines, me semblent tellement durs à accepter !

Rochelle et sa maman, si touchantes et si courageuses. Elles vivent dans un barangay très isolé et chaque jour – pour se rendre à l’école ou au travail – elles doivent prendre un petit bateau jusqu’à la ville d’Isabel. Rochelle, grande danseuse ayant participé à une représentation pour le Sinulog, a dû arrêter les entraînements car ceux-ci ont lieu trop tard et elle risquerait de louper le dernier bateau pour son barangay. Il faudrait alors prendre une moto à 200 pesos, contre 10 pesos pour le bateau. Autant dire que cette dépense est impossible pour la famille qui ne gagne que 420 pesos par jour, soit 7€.

Grace, jeune filleule de 15 ans qui accumule un important retard scolaire, car son père, paralysé peu de temps après la mort de sa femme, a empêché ses frères et sœurs de se rendre à l’école pendant 3 ans pour pouvoir l’aider. Maintenant sous la tutelle de sa tante, Grace a pu reprendre le chemin de l’école et est bien décidé à terminer ses études. La vie n’est cependant pas facile tous les jours car elle vit dans un bidonville sur l’eau et la chambre qu’elle partage avec 8 autres enfants se situe à 2m au-dessus de l’eau. Grace m’a paru sérieuse et quelque peu grave mais comment lui reprocher après son absence d’enfance…

Ou encore Vicente, qui s’excuse dans la lettre à sa marraine de ne pas avoir obtenu de bons résultats scolaires au dernier trimestre car ses parents se disputent à la maison et qu’il ne parvient pas à se concentrer… »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Merci à Marjolaine pour son témoignage ! Et merci pour sa précieuse aide sur le terrain.

Marjolaine fait partie de nos volontaires appelés ‘bambous’, sans qui notre action ne pourrait pas fonctionner. Notre fondateur, René Péchard, disait qu’il fallait « Aimer avant d’aider » : merci à tous les bambous pour tout l’amour qu’ils donnent aux enfants sur place !

Marjolaine et les filleules du programme d'Ormoc au Color Run ! Réveil à 4h pour courir 5km, belle motivation et on garde le sourire :)
Marjolaine et les filleules du programme d’Ormoc au Color Run ! Réveil à 4h pour courir 5km, belle motivation et on garde le sourire 🙂