Les victimes du confinement

Alors que les pays d’action d’Enfants du Mékong n’ont pas encore rouvert leurs frontières et qu’il est impossible pour les européens de se rendre en Asie du Sud-Est, Guillaume d’Aboville, directeur d’Enfants du Mékong fait un point sur la situation des familles en Asie du Sud-Est et les enjeux sociaux liés à la crise du COVID 19.

Propos recueillis par Antoine Besson

Au sortir de la crise mondiale du COVID 19, quel est l’état des pays d’action d’Enfants du Mékong ?

Guillaume d’Aboville, directeur d’Enfants du Mékong
Guillaume d’Aboville, directeur d’Enfants du Mékong

La situation du COVID 19 en Asie est telle qu’il y a 10 fois moins de cas sur nos 6 pays d’action cumulés (Thaïlande, Cambodge, Vietnam, Laos, Birmanie et Philippines) qu’en France.

A ce jour, il y aurait moins de 1000 morts en Asie du Sud-Est pour plus de 29 000 en France. On pourrait donc se dire que la situation est contrôlée en Asie du Sud-Est.

D’autant plus que la pandémie s’est déclarée à la fin de l’année scolaire. Les conséquences sur les écoliers, contrairement à la France a donc été minime puisqu’ils s’apprêtaient tous à partir en vacances.

Enfin, il faut souligner la grande résilience des asiatiques, habitués malheureusement aux crises sanitaires et aux catastrophes naturelles. La dernière épidémie en date en Asie était liée au SRAS, virus de la même famille que le COVID 19.

Plusieurs de nos responsables locaux nous ont rappelé que pour eux, habitués aux revirements politiques, aux typhons et à porter des masques dans les transports, ce n’était qu’une crise de plus qu’ils surmonteraient avec la même discipline dont ils ont fait preuve par le passé. Il y a plus de cas de Dengue aujourd’hui au Cambodge que de COVID 19.

Les statistiques encourageantes ne doivent pas masquer les drames qui se jouent à causes des mesures prises pour lutter contre cette pandémie. En Asie, ce n’est pas le COVID qui va générer le plus de victimes mais bien le confinement !

Justement, qu’est-ce que les mesures de confinement et la crise du COVID implique pour les familles les plus pauvres au quotidien ?

Avant d’être un problème éducatif pour les enfants, le COVID est un enjeu de vie ou de mort pour des familles qui meurt de faim. Pour les enfants pauvres qui reçoivent en général deux repas par jour, un maigre à la maison et un repas consistant et équilibré à l’école, le confinement les a empêchés de prendre un vrai repas pendant plus de deux mois. Nous étions au Vietnam une semaine avant le confinement et nous avons vu dans le Gia Laï des enfants maigres de 3 semaines de confinement. Quid au bout de 10 semaines ? Un enfant ne peut pas étudier, et encore moins suivre des cours à distance s’il a faim !

Globalement en Asie, les familles rurales semblent mieux s’en sortir que les habitants des villes. Comme en France, les travaux des champs ont continué malgré l’épidémie et le soutien communautaire extrêmement développé dans ces pays a été une véritable ressource significative pour de nombreuses familles. Seule la sécheresse qui sévit au Cambodge et au Vietnam dans le delta du Mékong, en compliquant l’accès à l’eau, a provoqué une forte détresse dans ces régions.

Mais ce sont les villes où la densité de population est beaucoup plus importante qui ont le plus posé problème. Le confinement a réduit au strict minimum les déplacements qui ont supprimé la grande majorité des petits emplois qui assuraient une subsistance aux familles les plus pauvres. Aux Philippines, c’est par exemple le chauffeur d’un « tricycle », un mode de transport fréquent pour se déplacer d’un quartier à l’autre. Du jour au lendemain, ces emplois urbains ont disparu laissant des familles entières sans trésorerie, sans ressources mais avec l’impératif de devoir nourrir leurs enfants restés à la maison.

Le confinement en Asie a également engendré une hausse considérable des violences domestiques. Le COVID a créé des situations où des familles sont laissées pour compte, livrées à elles-mêmes sans aucun revenu. Cela conduit malheureusement parfois au pire. Le gouvernement Philippin estime que les violences domestiques ont triplé.

Nos responsables locaux nous interpellent sur des nouvelles formes de trafic humain. Confinement, désœuvrement et écrans ne font pas bon ménage, ils cassent des équilibres déjà fragiles.

Comment l’action d’Enfants du Mékong s’est-elle adaptée pour répondre à ces nouveaux besoins ?

Nous sommes restés au contact de nos programmes de parrainage, afin de s’assurer que le maximum de filleuls puissent recevoir le montant du parrainage.
Nous avons constaté l’engagement exceptionnel de nos responsables bénévoles en Asie, avec plus de 9 programmes sur 10 opérationnels.

L’argent du parrainage a été adapté dans son utilisation en fonction des besoins nutritionnels liés à la situation.

Ensuite, Enfants du Mékong n’est pas une association d’urgence mais de développement. On pourrait donc répondre que ce n’est pas notre travail de venir en aide dans cette situation de crise.
Pourtant, l’histoire d’Enfants du Mékong s’est bâtie sur l’amitié avec ces peuples à l’épreuve des crises de l’Asie.

Notre œuvre a commencé avec les enfants eurasiens nés durant la guerre d’Indochine. Elle a continué dans les camps de réfugiés, non pas parce que c’était notre devoir mais parce que des amis nous ont appelé à l’aide.

Aujourd’hui, c’est la même chose. Nous intervenons parce que des amis nous appellent à l’aide. Et la force de la réponse que nous proposons repose justement sur ce maillage d’amitié et de coopération que l’association a tissé depuis plus de 60 ans. Notre force, ce sont nos 930 responsables locaux qui nous interpellent et nous aident à travailler de l’urgence, au post-urgence et au développement.

Nous écoutons, puis nous agissons. Le terrain réclame en tout premier lieu du riz, de l’huile, des produits de première nécessité et des masques. Au total, ce sont plus de 430 tonnes de riz pour 10 000 familles qui vont être distribuées. Jamais nous n’avons acheté une aussi grande quantité de riz. L’objectif est de permettre aux familles qui nous appellent à l’aide d’avoir entre 6 et 9 semaines de subsistance grâce à 100 ou 200 kilogramme de riz.
Et pour être le plus juste possible, nous faisons en sorte que pour une famille d’un filleul enfants du Mékong dont nous connaissons le besoin, il y ait 10 autres famille autour qui soient soutenues par le même programme de distribution. Nous ne sommes pas là pour aider seulement nos filleuls mais la communauté villageoise.
En Asie, ont dit souvent qu’on ne meurt jamais seul. Ce principe communautaire doit être aussi pris en compte dans l’aide fournie sur le terrain. Ce qui nous importe, c’est de dire à ces familles, souvent oubliées de tous, qu’ils ont du prix aux yeux d’autres, que nous allons les aider ; tant que l’activité économique n’aura pas repris.

Nous proposons aussi aux parents qui ont perdu leur emploi une aide à la reprise d’activité.
Ça consiste par exemple pour un chauffeur de tuktuk au Cambodge à lui donner entre deux semaines et un mois de trésorerie et l’équivalent de deux pleins d’essence.
Nous leur proposons également une dizaine de poule et un cochon pour assurer la subsistance de leur famille. C’est l’équivalent d’une aide de 500 euros distribué aux 200 familles les plus durement touchées par le confinement.

Bien entendu, la fidélité de nos parrains permet également de continuer à soutenir nos filleuls en vue de la reprise de l’école le plus rapidement possible.

Car toutes ces aides n’ont en réalité qu’un seul objectif, le seul qui nous anime depuis les début d’Enfants du Mékong à Vientiane : protéger les enfants et leur proposer un meilleur avenir grâce à l’instruction. Nos distributions de riz et l’aide à la reprise d’activité vont dans ce sens tout comme le parrainage : il s’agit de faire en sorte qu’ils ne meurent pas de faim et soient dans les meilleures conditions possibles pour retourner à l’école quand elles rouvriront.

Comment Enfants du Mékong assure la continuité pédagogique dans ces conditions ?

Au-delà de la situation d’urgence, notre enjeu est évidemment d’accompagner les enfants parrainés et les familles les plus pauvres.
Au Cambodge par exemple, nos travailleurs sociaux vont de village en village dans le Beantay Meanchay pour donner des cours de soutien aux enfants ou faire passer des polycopies.

Il y a une multitude de petites initiatives similaires dont nos responsables locaux et nos équipes sont à l’origine et qui s’adaptent aux contraintes du terrain.
En ce moment, une grande partie de nos volontaires Bambous sont confiné à Bangkok en Thaïlande et plusieurs d’entre eux donnent des cours de soutien dans les bidonvilles de Khlong Toei.

Nous préparons par ailleurs en vue du déconfinement en Asie, des camps d’été avec des activités type pour aider les jeunes à relire la période qu’ils viennent de vivre et leur donner des moyens concrets pour se protéger. Ces camps seront aussi l’occasion de proposer des remises à niveaux pour les élèves qui n’auraient eu accès à aucun cours pendant toute la période de confinement.

MERCI à tous nos parrains et nos marraines de votre fidèle aide. Nous constatons avec émerveillement combien le parrainage est un levier extraordinaire qui s’adapte à chaque situation et qui permet à tant de familles pauvres de traverser des crises qui pourraient être dramatiques. Il est un supplément d’âme qui permet de dire à un filleul, une filleule, une famille en Asie qu’ils ne sont pas seuls.

C’est par la compassion et l’éducation que nous donnons un avenir à tant d’enfants en Asie.

Si vous souhaitez en savoir plus sur l'impact de la COVID19 en Asie du Sud-Est :

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Antoine Besson
Antoine Besson Rédacteur en chef du magazine Asie Reportages Contact