La rentrée scolaire n’aura pas lieu!

Submergés par une déferlante de contamination par le variant Delta de la COVID 19, les pays d’Asie du Sud-Est tentent de juguler l’épidémie en prolongeant les confinements et donc la fermeture des écoles et des universités. Une situation de crise dont les plus pauvres payent le prix fort.

Texte : Antoine Besson.

Article publié dans Asie Reportage N°217, octobre 2021.

« Nous faisons la queue devant les cimetières pour enterrer nos morts. »

Les mots manquent pour répondre au tragique témoignage de sœur Benedicta reçu en ce mois de rentrée scolaire.

La Birmanie vit actuellement un nouvel épisode tragique de son histoire. Bien que les médias occidentaux s’en fassent peu l’écho, les affrontements entre certaines milices ethniques et l’armée gouvernementale (la Tatmadaw) ont créé dans tout le pays un climat de guerre civile. Alors pourquoi s’inquiéter d’une rentrée scolaire ?

À l’heure où les écoliers devraient reprendre le chemin de l’école dans la plupart des pays d’Asie du Sud-Est, le bilan est catastrophique. Cela fait deux ans que les enfants birmans n’ont pas pu aller physiquement à l’école à cause du confinement sanitaire dans un premier temps, du coup d’État militaire ensuite et maintenant de la guerre civile.

Cours en foyer

 

Heureusement, les initiatives ne manquent pas pour aider ces élèves à conserver quelques habitudes scolaires comme les camps d’été organisés par certains professeurs dans leurs régions ces derniers mois ou encore des classes informelles créées dans les camps de réfugiés à l’abri de la jungle dans les États Kachin ou Kayah. La part des enfants qui bénéficient de tels élans de générosité est cependant dérisoire par rapport à l’immense détresse de la majorité. Dans ces nouveaux abris de fortune, la priorité n’est en effet pas l’éducation.

Assumpta, l’un de nos contacts locaux dans l’État Kayah en témoigne : « Je vous écris d’urgence ce courrier, car, comme vous le savez peut-être déjà, la situation actuelle dans l’état Kayah est l’une des pires de Birmanie. Il y a tous les jours des combats. Les habitants se réfugient chez nous, car nous sommes à l’abri de la jungle. La plupart des gens ici sont déjà très pauvres. Nous manquons de tout, mais surtout de riz. Si la situation n’évolue pas, nous ne mourrons pas par les armes, mais par la faim. S’il vous plaît, aidez-les réfugiés, s’il vous plaît. »

 

Réfugiés Karen

Comme une veille de guerre

Au Vietnam, dans le sud du pays, l’armée est aussi mobilisée.

Pour faire face à une recrudescence des contaminations de COVID 19 et malgré son image de bon élève de la crise sanitaire, le pays a choisi le 9 juillet dernier de reconfiner les habitants du delta du Mékong et d’Hô Chi Minh-Ville (la seconde ville du pays et première zone économique et industrielle). De nombreux supermarchés annonçaient dès le 7 juillet après-midi être en rupture de stock de légumes verts.

Au micro de la BBC Vietnam, un habitant témoignait du sentiment de panique générale qui s’est emparé de la ville : « Les marchés et tous les supermarchés sont

 

 aussi bondés que les fourmis que les gens balayent devant leurs maisons ! Je suis aussi inquiet, triste… je cherche un endroit tranquille pour acheter des provisions, mais dans mon cœur, je pense que c’est comme une veille de guerre ! »

Seuls les usines et commerces produisant des biens et services essentiels continuent de fonctionner, mais les habitants ont interdiction de sortir de chez eux. Partout, les transports publics sont arrêtés.

Pour ne pas interrompre des lignes de production, des groupes industriels ont fait le choix de faire vivre leurs ouvriers sur leur site pour éviter tout contact avec l’extérieur.

 

Des solutions qui permettent à Samsung, Sanyo ou Panasonic de maintenir leurs activités dans le pays et au gouvernement de limiter les dégâts et relancer rapidement la production industrielle dans cette zone où sont concentrés les géants de l’électronique mondiale, du textile et de l’automobile.

Mais si de tels aménagements ont été possibles pour ménager les intérêts des investisseurs, c’est au détriment des familles qui vivent enfermées chez elles dans des conditions extrêmement précaires ou dans leurs usines dans le cas des ouvriers des secteurs privilégiés. Les usines de production locale sont, quant à elles, fermées jusqu’à nouvel ordre.

 

La plupart des familles du sud du Vietnam attendent les ravitaillements de l’armée qu’elles payent avec leurs économies. Les sorties ne sont autorisées que pour les urgences médicales. Phuc, l’une de nos responsables d’Enfants du Mékong écrivait au mois d’août :

« Les familles les plus pauvres sont au chômage, alors que les prix des aliments au Vietnam ne cessent d’augmenter. Les familles aisées ont de l’argent pour acheter de la nourriture et faire des stocks, mais dans les familles de nos filleuls qui ont l’habitude de gagner de quoi manger pour chaque repas, il n’y a pas d’argent pour stocker de la nourriture. Les familles qui vivent dans les zones confinées sont encore plus misérables, car elles n’ont rien à manger et ne sont pas autorisées à sortir.

La situation est telle qu’aucune aide caritative ne peut être organisée. »

Face à l’impasse, déjà plusieurs témoignages font état de décès et de sous-nutrition. À l’heure de la rentrée des classes, le gouvernement a annoncé que le système scolaire reprendrait uniquement à distance par des moyens électroniques. Les manuels scolaires ont été numérisés pour permettre aux élèves de travailler en ligne, mais là encore la solution ne prend pas en compte la fracture numérique au sein de la population et marginalise tous ceux qui ne peuvent payer des outils informatiques à leurs enfants ou une connexion internet.

3 élèves décrocheurs sur 10

Aux Philippines, la situation ne connaît pas non plus d’amélioration. Depuis près de 18 mois, les écoles sont toutes fermées et les élèves doivent suivre les enseignements de leurs professeurs à distance.

Le 13 septembre dernier, les élèves ont pu reprendre un rythme scolaire à défaut de retrouver le chemin de l’école soit 2 mois après la date normale de rentrée scolaire, habituellement en juin aux Philippines.

Selon les chiffres fournis par le site Nikkei Asia, environ 53 % des élèves interrogés n’étaient pas sûrs de pouvoir acquérir les compétences définies par le ministère de l’Éducation dans le cadre de l’enseignement à distance, et seulement 7 sur 10 pensaient terminer leur cursus, 87 % des étudiants signalant des connexions Internet instables. Malgré ces données, le gouvernement a annoncé que l’enseignement à distance resterait la norme durant toute l’année scolaire à venir.

Au Cambodge, la situation est cependant en voie d’amélioration.

Phnom Penh est récemment devenue la ville la plus vaccinée d’Asie du Sud-Est, après Singapour, à la faveur d’une politique de vaccination mise en place parmi les premières de la région en vue d’une relance des secteurs du tourisme et de l’industrie.

Le Cambodge a déjà vacciné plus de 70 % de ses 16,5 millions d’habitants, tandis que ceux de la capitale Phnom Penh reçoivent déjà la troisième dose de rappel. À la faveur de cette immunité de masse quasiment atteinte, le gouvernement a autorisé une réouverture partielle des écoles province par province. C’est déjà le cas dans la capitale et dans quatre autres grandes provinces dont le Banteay Meanchey, la province du Centre Enfants du Mékong de Sisophon.

Au Laos, c’est la capitale Vientiane qui connaît le taux de contamination le plus élevé dans le pays avec le variant Delta.

Des contaminations essentiellement dues, selon les autorités, au retour des travailleurs des pays frontaliers comme la Thaïlande ou le Vietnam. Mi-août, le gouvernement a confirmé la fermeture des écoles publiques et privées ainsi que des universités. Une fermeture déjà effective depuis le mois d’avril 2021.

Reste la Thaïlande et sa flambée de contaminations et de contestations publiques face à la crise sanitaire et à la gestion désastreuse du gouvernement.

Les hôpitaux débordés par l’afflux de patients prennent désormais en charge les malades sur les parkings, les gymnases ou dans la zone de fret de l’aéroport de Suvarnabhumi.

Le pays, qui comptait sur un vaccin, toujours inexistant, qui devait être fourni par l’une des entreprises du roi Rama X, Siam Bioscience, doit se résoudre à chercher des doses dans le secteur privé pour commencer sa campagne de vaccination.

Dans le même temps, les frontières nationales, mais aussi régionales restent fermées, handicapant lourdement le développement économique de tout le pays. Les écoles demeurent aussi fermées là où les contaminations sont les plus fortes, soit dans 16 provinces qui totalisent 40 % de la population du pays.

Le gouvernement doit en prime compter avec une contestation pro démocratique qui reprend du souffle. De nouvelles manifestations ont eu lieu à la mi-juillet demandant la démission du Premier ministre Prayuth Chan-o-cha et un approvisionnement en vaccins à ARN-messager. Elles ont donné lieu à des heurts violents. Les manifestants ont été dispersés à coup de balles en caoutchouc et de gaz lacrymogènes, des méthodes que le pouvoir s’était interdit jusqu’à présent.

La majorité silencieuse

   

Bien que les réalités nationales soient toutes différentes, une certitude se dégage de la période trouble que traverse actuellement l’Asie du Sud-Est confrontée à cette troisième vague de COVID 19 meurtrière. Car si les populations souffrent toutes, les plus touchés par la crise et ses répercussions sont ceux dont on parle le moins : la grande majorité silencieuse qui se bat chaque jour pour payer à sa famille un repas que l’on empêche de se déplacer ou de travailler.

De cette majorité sont issus aussi les filleuls d’Enfants du Mékong dont beaucoup sont touchés par la faim, la séparation et parfois la mort.

Alors, comment croire que l’école à distance est une solution pour eux ?

Cette année, pour des milliers d’enfants la rentrée n’aura pas lieu !

Comment votre parrainage répond-il à la crise actuelle ?

Face à la crise sanitaire et à la fermeture des écoles, le parrainage demeure un levier d’aide et de soutien essentiel pour les familles les plus démunies.

Il leur permet de se nourrir lorsque les parents ont perdu leurs emplois à cause de la crise sanitaire, et de se procurer les produits d’hygiène nécessaires. Il permet également de financer les transports de nos responsables locaux qui multiplient les visites dans les familles afin de s’assurer de la bonne santé de tous et de mettre en place les moyens nécessaires à la continuité pédagogique de la scolarité des élèves. Comme toujours, le but est que le parrainage s’adapte au mieux au besoins présents de l’enfant.

Article publié dans Asie Reportage N°217, octobre 2021.