Texte et photos : Antoine Besson
Une musique tonitruante retentit dans une vieille usine réhabilitée en espace de coworking et de création. Au cœur d’un quartier excentré de Phnom Penh, La Factory est un lieu où s’invente le Cambodge du XXIème siècle, moderne, branché et totalement affranchi de son image tiers-mondiste. Ici, les murs sont décorés par de célèbres artistes de rue et les jeunes entrepreneurs parlent autant des technologies du futur que de la mode de demain. Et c’est justement de la mode qu’il est question ce soir. Sous les hautes baies vitrées du plafond, la musique électro accompagne un défilé de haute couture. Au milieu des créateurs et du gotha khmer, une enfant des rizières se tient là, parfaitement à sa place.
Kongka Chan a grandi loin de la ville, dans une province rurale, une parmi les plus pauvres du Cambodge, le Banteay Meanchey. Née dans le village de Preas net preas, Kongka a aujourd’hui 28 ans, mais elle n’en avait que 13 quand, du jour au lendemain, elle a vu ses deux parents abandonner leur maison et leurs cinq filles pour fuir leurs créanciers. « Mes parents n’avaient aucune instruction. Ils n’arrivaient pas à gérer leur argent et ne parvenaient plus à rembourser leurs dettes. Ils ont préféré traverser la frontière thaïlandaise pour trouver du travail et ne pas être retrouvés. » Les filles ignorent où se trouvent leurs parents et doivent se débrouiller seules. Encore aujourd’hui, le visage de Kongka se trouble quand elle évoque la peur qui l’habitait à l’époque. La jeune fille est la seconde de la fratrie et craint le moment inéluctable où les hommes des environs découvriront que cinq jeunes filles mineures vivent seules, sans protection, dans une maison sans fenêtres ni portes. « Au Cambodge, il y a souvent des histoires de jeunes filles abusées. » Les larmes montent aux yeux de la jeune femme quand elle en parle encore aujourd’hui : « J’étais terrifiée. Ça a été mon pire cauchemar, vous savez ? »