« Connais-toi toi-même ! »
« Se construire soi-même à tout âge. » En parallèle de leurs cours, les étudiants Enfants du Mékong réfléchissent et approfondissant leurs questions personnelles sur l’amitié, […]
« À l’époque, Enfants du Mékong n’existait pas sous ce nom. L’association de Tonton Péchard s’appelait alors l’Aspel, l’Association pour la protection de l’enfance au Laos ». Kiyé Simon Luang parle d’une voix douce, presque hésitante, mais ses propos sont précis. Cinéaste d’origine laotienne, Kiyé signe la sortie d’une fiction sur les écrans de cinéma français : Goodbye Mister Wong. Un film contemplatif qui explore à travers l’histoire individuelle de ses protagonistes, celle plus large des relations ambiguës entre la Chine et le Laos. Une sorte de geste romantique imprégnée de poésie et de la destinée de son réalisateur.
Enfant, on ne s’inquiète pas comme les adultes. Nous n’avions aucune conscience de la tragédie collective qui se jouait.
Arrivé en 1976 en France, à l’âge de 10 ans par l’entremise de «Tonton » Péchard et de l’Aspel, Kiyé Simon n’a de cesse, depuis ses premières incursions dans l’art, de revisiter ses origines et son exil. Un exil solitaire durant lequel il sera séparé de sa famille par une guerre fratricide que l’enfant ne comprend pas. Tout commence par un arrachement. Les souvenirs sont surtout sensations.
Kiyé Simon a 9 ans. Sa famille l’appelle Kiyé, son prénom d’origine, un prénom qui changera au cours de son histoire mouvementée, en même temps que son identité d’exilé se construit. Mais pour l’heure, Kiyé Simon n’est que Kiyé. Il se souvient d’un jour heureux. Sa grande sœur se marie. Son père et sa mère se sont disputés les jours précédents. Ils ne sont pas d’accord. Le premier voudrait partir et quitter le Laos tant qu’il est encore temps, comme ses cousins. Sa mère refuse de quitter leur village. L’arrivée au pouvoir des communistes du Pathet Lao et le cortège d’horreurs et de répressions qui s’ensuivent ne la feront pas fuir. Pour beaucoup de Laotiens, la guerre n’est pas finie mais les cochons de la fête rôtissent dans le jardin et Kiyé se délecte de leur odeur. Tandis que la fête bat son plein, son père l’interpelle. « Tu veux aller en France ? » L’enfant répond « Oui » sans même y penser. Qu’est-ce que cela peut bien signifier ? Au milieu du mariage et sans pouvoir goûter aux appétissants cochons, Kiyé monte sur le porte-bagage de la bicyclette de son père. Sans rien dire de ses projets, comme on va à la pêche, l’adulte conduit l’enfant chez son oncle près de la frontière thaïlandaise, sans bagages ni au revoir. Il faut être discret.
Plus tard, Kiyé se retrouve au bord du Mékong. Le grand fleuve forme une frontière naturelle entre le Laos et la Thaïlande. Sur la rive d’en face, à Nong Khai, se trouve la liberté en cage. Il ira retrouver ses cousins, dont le plus âgé a 19 ans, dans un camp de réfugiés. Mais pour l’heure, il faut traverser. L’oncle de Kiyé le met en garde : « Si on nous arrête, tu diras que tu ne me connais pas ! » Pour Kiyé, ces souvenirs sont marqués par l’insouciance de l’enfance. Il croit vivre une grande aventure. La brûlure de la séparation ne se fait pas encore sentir.
« Même dans les camps de réfugiés, je ne voyais pas le mal. Au contraire, c’étaient des lieux magiques pour les enfants. Nous avions plein de camarades avec lesquels nous pouvions jouer toute la journée. Enfant, on ne s’inquiète pas comme les adultes. Nous n’avions aucune conscience de la tragédie collective qui se jouait. »
Le camp en Thaïlande n’est qu’une étape. Kiyé doit partir en France avec ses cousins. C’est par eux qu’il fait la connaissance de M. Péchard, que tout le monde surnomme «Tonton Péchard », à la laotienne. Un Occidental de Vientiane qui organise le départ en France d’enfants réfugiés et l’accueil en foyers ou en famille sur place. « Je me souviens d’un homme très abordable et très gentil, mais aussi d’une figure très impressionnante et imposante pour l’enfant que j’étais. »
Comme pour des milliers d’autres enfants laotiens et métis, Tonton prend sous son aile Kiyé. Il lui trouve une place à bord d’un avion. Un billet pour la liberté destiné à un autre que Kiyé, mais dont le départ a été retardé. Qu’importe, Kiyé deviendra cet autre le temps de son exil. Tonton falsifie ses papiers pour qu’il puisse embarquer. Sans avoir conscience qu’il change à jamais l’état civil de son protégé. Kiyé devient Souksamon, un prénom que ses camarades en France ne parviendront jamais à prononcer correctement et qu’ils transformeront par la suite en Simon. Un nouveau prénom qui restera à l’état civil comme une trace de cette renaissance.
Pour Kiyé, c’est le voyage des premières fois : « Je me souviens de l’émerveillement de prendre l’avion. C’est dans cet avion que pour la première fois j’ai vu un robinet avec de l’eau chaude ». Arrivé en France en pleine canicule, habillé de vêtements chauds donnés dans les camps en prévision de la froide Europe, Kiyé ne reste pas en foyer comme ses cousins, mais sera confié par Tonton à une famille d’accueil originaire du Creusot en Bourgogne : Florence et George Amiel. « Nous vivions dans un HLM au 3e étage. Je n’avais jamais habité aussi haut ». Commence un long apprentissage. « Je ne parlai pas le français et la famille ne parlait pas laotien, mais après six mois j’ai commencé à bien parler français et à oublier le laotien ».
« Je me souviens de l’émerveillement de prendre l’avion. C’est dans cet avion que pour la première fois j’ai vu un robinet avec de l’eau chaude »
« Je ne parlai pas le français et la famille ne parlait pas laotien, mais après six mois j’ai commencé à bien parler français et à oublier le laotien ».
À l’époque tout est découverte et étonnement. Kiyé Simon fait sa rentrée en septembre à l’école et vit à partir de ce jour une vie ordinaire au sein d’une « famille française typique des années 70 ». Il se découvre des grands-parents, des oncles et tantes, des cousins français. Ils partent tous en famille à la mer 4 semaines chaque été. « C’étaient des jours heureux. J’ai découvert la campagne française qui ne ressemble en rien à la campagne laotienne. Ce n’est pas les mêmes odeurs, pas les mêmes plantes ». Kiyé Simon le reconnaît, « Je ne comprenais pas tout, tout de suite. Tout était sensation ». Mais la France lui vient aussi par la télévision, à l’époque en noir et blanc. « Florence me soutenait beaucoup dans ma scolarité ». Grâce à cette attention particulière, la scolarité du jeune réfugié laotien se fait « sans histoire ». Un DEA d’art plastique en poche, il passe le concours d’instituteur aux Batignolles à Paris. Il enseignera pendant près de 15 ans avant de se consacrer pleinement à l’écriture et au cinéma à partir des années 2000. C’est à l’époque qu’il forge son nom d’artiste Kiyé (le prénom laotien que ses parents lui ont donné) Simon (le prénom que ses camarades français lui ont donné) Luang (son nom de famille laotien francisé et raccourci). « Un nom qui est un résumé de tout mon parcours », explique celui qui encore aujourd’hui est enregistré à l’état civil français sous l’identité d’un autre.
Depuis, chaque projet est l’occasion de retisser un lien, d’abord ténu, avec son premier pays, le Laos, et ses origines. Que ce soit à travers l’écriture, la photographie ou maintenant le cinéma, Kiyé Simon Luang revit sans cesse les événements qui ont marqué l’enfant qu’il était. La portée de sa recherche va cependant bien au-delà de son histoire personnelle. L’épopée de Kiyé rejoint tout à la fois les grands mouvements de l’histoire et d’autres mouvements plus intimes de reconstruction et de résilience.
En 2003, il est lauréat des Trophées du Premier Scénario CNC avec Tao, long métrage de fiction. En 2005, L’île éphémère, aux frontières de la vidéo expérimentale, connaît une belle diffusion. Ici fini l’exil, son premier documentaire retrace son histoire. Il se rend sur les lieux et part interroger ceux qui l’ont connu à l’époque de son départ : sa mère, qu’il a retrouvée seulement quelques années auparavant, en 1991, lors de son premier retour au Laos, sa sœur exilée comme lui en France, Florence Amiel… Son père malheureusement est mort avant qu’il ne puisse le revoir, mais Kiyé Simon conserve les lettres qu’il écrivait à son insu à la famille Amiel pour les remercier d’avoir accueilli son fils, et qu’il signait Augustin Grognard pour échapper à une éventuelle censure. Il ne découvrira ces lettres qu’à ses 18 ans.
Aujourd’hui, avec Goodbye Mister Wong, Kiyé Simon écrit une nouvelle page de son histoire. Tout en métaphore et en poésie, le cinéaste filme des histoires de couples contrariées à la croisée des cultures (entre la Chine, la France et le Laos). Concis dans ses dialogues, le film raconte par les images et les sensations un autre vécu. On y retrouve le langage impressionniste de Kiyé Simon et ses influences. À bientôt 56 ans, le cinéaste n’a pas fini d’explorer la complexité de ses racines et son histoire à travers son art et ne manque pas de projets. Malgré la douceur qui le caractérise, Kiyé Simon n’en casse pas moins les codes d’un cinéma contemporain souvent stéréotypé et n’en a certainement pas fini de revenir au Laos à travers son art et ses récits.
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