La cuisine vietnamienne est, au même titre que la cuisine française, gastronomique. Les traditions en sont extrêmement riches et en perpétuelle évolution.
Un jour j’ai voulu réunir les recettes de famille que ma grand-mère élabore dans son restaurant près d’Orléans. Cela m’a pris 8 ans pour écrire ce livre tant il y avait de versions différentes. En réalité, ma bà [grand-mère en vietnamien, ndlr] cuisine presque toujours selon son inspiration : les recettes changent toujours. C’est aussi pour cela que cette cuisine en particulier raconte une histoire.
Il faut savoir que dans les familles vietnamiennes, traditionnellement, la fiancée partait vivre dans sa belle-famille après son mariage. C’est à ce moment seulement qu’elle apprenait à cuisiner et que sa belle-mère lui transmettait les recettes de famille. Alors pour éviter que le mari ne compare la cuisine de sa femme et celle de sa mère, la nouvelle épouse avait l’habitude d’ajouter un ingrédient secret dans sa recette. C’est pourquoi il existe, en théorie, autant de recettes de Phò [soupe vietnamienne agrémentée de viande, ndlr] que de jeunes mariées au Vietnam.
De même, la cuisine de bà a traversé quasiment un siècle et plusieurs continents. Avant tout c’est une cuisine de l’exil, qui s’élabore avec très peu de moyens : celle d’une femme qui a pris les rênes de sa vie pour nourrir ses neuf enfants quand le passé politique de mon grand-père (il était conseiller en guerre psychologique auprès du président Diem dans la République du Vietnam du Sud) les a contraints à l’exil. Toutes la vie de ma grand-mère, toutes nos racines familiales, sont inscrites dans ces recettes.