Un diplôme à tout prix

Si la politique de l’État vietnamien encourage la jeunesse à poursuivre ses études à un niveau universitaire, les conditions de vie des étudiants de la capitale, issus de familles démunies, sont souvent dramatiques et vécues comme une épreuve qui n’aboutit parfois pas au résultat escompté. Et pourtant, ils continuent d’étudier.

Si la politique de l’État vietnamien encourage la jeunesse à poursuivre ses études à un niveau universitaire, les conditions de vie des étudiants de la capitale, issus de familles démunies, sont souvent dramatiques et vécues comme une épreuve qui n’aboutit parfois pas au résultat escompté. Et pourtant, ils continuent d’étudier.

TEXTE ET PHOTOS : ANTOINE BESSON

J’ai fait plus d’études que n’importe lequel de mes amis parce qu’on m’avait assuré que le diplôme de médecin en valait la peine. Que ce serait une assurance pour mon avenir.

« J’ai fait plus d’études que n’importe lequel de mes amis parce qu’on m’avait assuré que le diplôme de médecin en valait la peine. Que ce serait une assurance pour mon avenir. Mais aujourd’hui, je gagne moins bien ma vie que la plupart d’entre-eux. Je ne suis même pas capable de payer les études de ma petite soeur ! »

Nina est amère. À 24 ans, la jeune femme habite au cœur de la capitale vietnamienne mais ne peut se payer qu’une petite chambre d’une dizaine de mètres carrés. Elle la partage avec sa plus jeune sœur et deux autres étudiantes. Le visage baigné de larmes, le regard accablé, Nina ponctue ses phrases de longs silences. Parler de ses difficultés financières lui coûte. Souvent les émotions la submergent.

RÊVE DE DIPLÔME

Aînée de quatre enfants, Nina est originaire de Hòa Bình, une province du nord du Vietnam à 80 kilomètres de la capitale. Sa mère, travailleuse journalière dans une briquetterie, ne gagne que 200000 dongs par jour, à peine huit euros. Pas de quoi nourrir sa famille.

Alors quand Nina a voulu faire des études supérieures, convaincue que seul un diplôme universitaire lui permettrait de s’en sortir mieux que sa mère, il a fallu chercher ailleurs de quoi payer sa chambre à Hanoï (2500000 dongs par mois soit environ 100 euros) et ses frais de scolarité. Pour cela, Nina s’est endettée auprès de la banque à hauteur de 100 millions de dongs (4000 euros).

Une fortune pour elle, qui doit aujourd’hui assumer la charge de la scolarité de sa soeur et de ses deux jeunes frères. Le cas de Nina n’est pas un cas isolé à Hanoï. Nombreux sont les étudiants venant de province et de familles démunies, arrivés à la capitale dans l’espoir d’obtenir un diplôme.

Nombreux sont les étudiants venant de province et de familles démunies, arrivés à la capitale dans l’espoir d’obtenir un diplôme
Nombreux sont les étudiants venant de province et de familles démunies, arrivés à la capitale dans l’espoir d’obtenir un diplôme
La société vietnamienne d’aujourd’hui produit des diplômés
Trong, quant à lui, a trouvé un emploi de gardien de nuit dans un hôtel de la capitale. « J’étudie le jour et je travaille la nuit ».

Entre 2006 et 2016, les études supérieures et les universités se sont largement développées sous le mandat du Premier ministre Nguyen Tran Dung, De 2016 à 2020, bénéficiant d’une croissance exemplaire, le gouvernement du Premier ministre Nguyen Xuan Phuc a investi massivement dans la qualité des programmes. « La prospérité de l’économie a créé des conditions favorables pour que le gouvernement puisse consacrer des fonds pour l’enseignement supérieur », écrit Nguyen Quang Anh dans sa thèse L’enseignement supérieur vietnamien à l’heure de la mondialisation (1906-2020) soutenue à l’université de Bordeaux. Le Vietnam compte en 2020 près de 2 millions d’étudiants d’après l’UNESCO sur une population de 97 millions d’habitants.

En 2019, 10,2 % de la population vietnamienne âgée de plus de 25 ans disposait d’un niveau de formation équivalant à la licence. C’est deux fois moins que la France (19,7 %) d’après les études de la même agence onusienne.

Cependant la qualité des diplômes délivrés par l’État communiste n’est souvent pas à la hauteur des standards internationaux selon le doctorant: « La société vietnamienne d’aujourd’hui produit des diplômés [et] focalise l’attention sur les diplômes au lieu de se soucier du curriculum et du processus d’enseignement-apprentissage. Alors que seulement 20 % des professeurs des universités les mieux classées au Vietnam sont titulaires d’un doctorat (ce taux est encore bien moindre dans les universités moins bien classées), jusqu’à 50 % des ministres et des officiels [de] l’appareil administratif du Vietnam sont docteurs ou professeurs agrégés. Les observateurs peuvent s’étonner que les universités soient si peu dotées en universitaires qualifiés au niveau du doctorat quand les grands commis de l’État le sont en nombre.»

CORRUPTION ET EMPLOI

Mais la qualité des diplômes n’est pas le seul obstacle rencontré. Pour Nina, l’enjeu universitaire est d’abord l’accès à un emploi rémunérateur. Tous les ans, 60 % des diplômés des universités sont au chômage alors même que le marché du travail connaît une grave pénurie de travailleurs qualifiés. Pourquoi un tel écart? Outre les insuffisances des filières, Nina pointe du doigt la corruption : « Le seul moyen pour un médecin à Hanoï d’avoir une patientèle et de bien gagner sa vie est d’avoir un poste à l’hôpital à temps partiel.» Ces postes sont inaccessibles pour une étudiante sans ressource. D’après Nina, elle devrait payer 800 millions de dongs (près de 30 000 euros) à l’hôpital pour pouvoir prétendre à un poste. «L’indice de perception de la corruption du Vietnam en 2017 a atteint 35/100 points, se classant 107/180 au niveau mondial. Ainsi, l’appareil administratif inefficace et la situation de corruption et de gaspillage sont les goulots d’étranglement à court terme de l’économie. La corruption, endémique au sein d’une partie de la haute fonction publique de l’État est une cause importante, à la fois directe et indirecte de l’appauvrissement du pays», confirme Nguyen Quang Anh dans son analyse.

VIVRE À L'ÉTROIT

Avant la corruption et le chômage, c’est le logement qui pénalise les étudiants. Nam est en troisième année d’informatique à l’université des transports et des communications. Il a la chance de partager un logement avec ses deux soeurs dont l’une est mariée, avec un enfant de dix mois. Ils habitent tous les cinq une chambre de 10 m2, juste assez grande pour y loger quatre lits superposés et un bureau. Nam aimerait pouvoir habiter ailleurs mais il n’a aucune ressource : « À la naissance de ma nièce, personne n’a dormi pendant quatre mois. Je veux être diplômé le plus rapidement possible pour m’échapper de ce placard! »

Trong a 19 ans. Il est en deuxième année d’études d’informatique à l’université polytechnique d’Hanoï et loue une chambre avec trois autres camarades 4500000 dongs (180 euros), dans un immeuble récent. S’il est bien logé, Trong n’a pas le loisir d’en profiter car le jeune homme travaille en parallèle à son cursus universitaire, comme la plupart des étudiants issus de familles défavorisées.

C’est souvent cette contrainte de l’emploi qui empêche la plupart d’entre eux de bénéficier des logements mis à disposition par l’État pour favoriser l’accès aux études supérieures : « La plupart des internats de l’État fonctionnent avec des horaires stricts qui nous empêchent d’avoir un emploi en dehors de nos études», explique Thi Kim, 21 ans, étudiante en médecine traditionnelle, qui a été hébergée dans un de ces internats lors de sa première année à Hanoï. Elle loge aujourd’hui avec trois autres camarades : deux partagent un lit double tandis que les deux autres dorment sur des nattes. La cuisine, la salle de bain et les toilettes sont communes avec le reste de l’immeuble, soit douze personnes au total. «Nous étions encore moins bien logés à l’internat : six par chambre!» Thi Kim paye 15 millions de dongs par an de frais de scolarité (600 euros) qu’elle finance en partie en donnant des cours de soutien en mathématique et en anglais. « C’est un travail qui permet d’être souple avec les horaires qui changent tout le temps, selon que je suis en stage ou en cours.»

La famille est trop pauvre pour la soutenir : «Je préfère ne pas leur demander d’argent car ils se sentiraient obligés de s’endetter pour m’aider alors que j’ai encore trois frères et soeurs à la maison » témoigne Thi Kim.

Trong, quant à lui, a trouvé un emploi de gardien de nuit dans un hôtel de la capitale. « J’étudie le jour et je travaille la nuit », explique le jeune homme aux traits tirés et aux yeux fatigués. Pour la majorité des étudiants issus de familles pauvres, les études à Hanoï représentent une somme de sacrifices que la plupart font volontiers dans l’espoir de trouver une planche de salut pour eux mais également pour leur famille.

La déception est à la mesure des sacrifices consentis : démesurée. Mais parfois, la prise de conscience vient plus tôt.

DES ÉTUDES À TOUT PRIX !

À My Dinh, quartier excentré de la capitale, les ruelles se subdivisent en venelles toujours plus étroites et labyrinthiques. Les habitations semblent s’être construites de manière anarchique, sans réel plan d’urbanisme. Thu Ha a 22 ans mais en paraît 16 tant son corps porte les stigmates de la sous-nutrition. Elle loge dans une chambre d’à peine 9 m2 avec une colocataire. Il faut monter plusieurs étages et suivre un dédale de coursives serpentant entre des immeubles collés les uns aux autres pour parvenir à sa mansarde. La seule fenêtre de la chambre est aveugle : un immeuble l’a bouchée depuis longtemps, raréfiant l’air vicié qui circule et privant l’espace de lumière naturelle. Seul un néon éclaire Thu Ha qui tousse en nous accueillant.

Elle apprend le français et prépare une licence de tourisme. Sur ses murs délabrés et insalubres, le poster d’une fenêtre sur un champ de lavande ouvre comme un espoir ou une échappatoire. Sur le mur d’en face, un tas de sacs de vermicelles sous plastique attend. Thu Ha n’a plus ses parents qui ont fui leurs créanciers en laissant leur fille derrière eux pour disparaître dans la nature.

C’est malheureusement encore souvent le cas dans certaines régions du pays, quand les familles ne peuvent honorer les dettes qui s’accumulent. Cette chambre est tout ce qu’elle peut s’offrir. Son prix est largement inférieur aux tarifs habituels – «seulement» 1200000 dongs (50 euros) – mais pour payer cette somme, Thu Ha multiplie les petits emplois : elle donne des cours et vend des vermicelles sur internet, qu’elle rapporte de son village, Tan Boi, et qu’elle conserve dans sa chambre. La jeune fille ne se plaint pas mais a bien conscience que sa santé se dégrade de plus en plus : sa vue baisse, dit-elle en remontant ses lunettes sur son nez camus où perlent des gouttes de sueur. Elle a été diagnostiquée en sous-nutrition lors d’une visite médicale à l’université mais n’a pas de quoi se soigner. Pourtant, Thu Ha reste déterminée et veut à tout prix décrocher son diplôme, même si elle ne pourra sans doute pas exercer le métier pour lequel elle s’est formée, à cause de sa santé défaillante. Comme pour Nina, Nam, Throng et Thi Kim, l’espoir est chevillé au corps de Thu Ha. Un espoir fragile mais d’une force inouïe. L’espoir que les choses s’améliorent. « Miracles happen everyday », peut-on lire sur le tee-shirt de cette dernière : les miracles arrivent tous les jours !

Chères marraines, chers parrains, qui soutenez des étudiants vietnamiens, MERCI ! Votre parrainage est un soutien inestimable pour nos jeunes !

Forums d’orientation et camps d’été 2023 !

La fin de l’année scolaire au Vietnam approche à grands pas pour les enfants et étudiants parrainés. Pas question de les abandonner ! Nos équipes locales sont prêtes pour le lancement des camps d’été !

De nombreux jeux et activités seront proposés aux filleuls, tous âges confondus. Grâce aux forums d’orientation, les étudiants pourront réfléchir à leur projet professionnel. Ces camps seront également l’occasion pour certains filleuls de se remettre à niveau pour aborder sereinement la rentrée scolaire !.

Camps d’été et forums d’orientation 2023

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