Pad thaï : l’assiette des rues de Bangkok

Si les campagnes produisent la plupart des produits agroalimentaires consommés en Asie, les villes aussi jouent un rôle important dans la créativité culinaire.
Dans la jungle des rues de Bangkok, un plat en particulier s’est taillé la part du lion dans le coeur des amateurs de street-food : le pad thai. Un patrimoine que l’administration de la capitale thaïlandaise met à mal en limitant les cantines de rue.

« La simplicité est la marque d’une belle âme et souvent d’un grand homme… »

C’est aussi la marque d’un grand plat, n’en déplaise à Joseph Sanial-Dubay, le pad thaï (ou phat thai ou encore phad thai), le sauté à la thaïe !
Le nom est simple comme le plat et les saveurs qui le composent. Le fumet des nouilles sautées des rues de la Thaïlande attire depuis longtemps les gourmets du monde entier. Début 2017, la chaîne américaine CNN a même désigné Bangkok, pour la deuxième année consécutive, ville avec la meilleure street-food de la planète, devant Tokyo et Honolulu.
« Ce qui rend la street-food de Bangkok la meilleure du monde, c’est la variété des plats. D’autres endroits, comme Taipei ou Penang ont aussi une très bonne qualité de nourriture de rue, mais nulle part vous ne pouvez trouver une gamme aussi étendue qu’ici »,
révèle Chawadee Nualkhair, créateur d’un blog sur le sujet : bangkokglutton.com.
Le succès des nouilles sautées à la thaïe n’en finit plus d’être commenté par les amateurs de cuisine et les touristes du monde entier.

La recette du Pad Thaï

Pourtant l’intérêt des cantines de rue est avant tout lié à la culture du pays et procure une ressource nécessaire à de nombreuses familles dépourvues de moyens. « C’est un mode de vie pour les Thaïlandais, les expatriés et les touristes. C’est inhérent à l’identité de Bangkok qui a reçu une reconnaissance internationale à ce niveau. Cela fait partie de la « beauté chaotique » de la ville », écrivait le chroniqueur Suranand Vejjajiva dans le Bangkok Post. Comment comprendre alors que le gouvernement veuille faire disparaître ce trésor national ?

Aujourd’hui mondialement connu, le pad thai est l’un des emblèmes de la cuisine de rue thaïe.

La cuisine de rue de Ning

Dans Sathorn, célèbre quartier d’affaires de la mégapole thaïlandaise, les tours côtoient encore quelques habitations traditionnelles en bois. Dans les soi (rues) étroits qui bordent l’artère principale, les marchands ambulants se relaient tout le jour auprès d’une clientèle d’habitués et de touristes.
Sur un bout de trottoir, Ning a garé sa carriole et son fils, Bo, installe quelques tabourets de plastique autour de tables en fer blanc. « Chaque personne dans Bangkok a sa propre recette de phat thai. Il n’y en a pas qu’une, marmonne Ning affairée devant son wok comme si cela lui paraissait une évidence. Le secret de ma recette, ajoute-t-elle, c’est une sauce au tamarin que je prépare moi-même. »
Ning tient sa recette de sa grand-mère. Originaire de l’Issan, une des régions les plus pauvres de la Thaïlande, elle a rapidement décidé de venir s’installer à Bangkok pour vendre de la nourriture de rue. Un pari gagnant puisque là où elle gagnait 150 à 250 bahts (environ 6,50 euros) par jour comme ouvrière à l’usine, elle réussit aujourd’hui à gagner jusqu’à 7000 bahts (184 euros) par jour dans la rue. De quoi élever correctement ses 2 enfants et vivre dans le quartier où elle travaille, malgré le coût élevé de l’immobilier dans le centre de la ville.
Le succès de Ning n’a rien d’automatique mais les échoppes de street-food offrent à beaucoup de familles, issues de l’exode rural, une véritable chance de s’en sortir.
La survie dans la rue n’est cependant pas simple. Il faut notamment se plier à quelques arrangements mafieux et s’exposer à des rackets plus ou moins organisés. Ning par exemple doit se déclarer auprès du commissariat de police dont dépend son secteur. En échange d’une redevance mensuelle comprise entre 1000 et 2000 bahts (environ 50 euros) elle s’assure ainsi le droit de vendre ses plats dans la rue, alors que les nouvelles directives de l’administration de Bangkok l’interdisent désormais.

Ning tient sa recette de sa grand-mère. Comme beaucoup, elle a migré à Bangkok pour trouver un emploi et vit des plats à emporter qu’elle vend dans la rue.

Une tempête dans l'assiette

En avril 2017, Vallop Suwandee, un conseiller du gouverneur de Bangkok, a provoqué une véritable tempête d’indignation en annonçant que l’ensemble des restaurants de rue de la capitale devraient disparaître dans les mois à venir, « y compris dans les quartiers touristiques comme Yaowaraj et Khao San Road ». les commerces de rue qui font pourtant le charme de la ville sont soudainement devenus illégaux pour des raisons d’hygiène et afin de libérer les trottoirs. « Veulent-ils que Bangkok perde son âme, qu’elle devienne une ville aussi propre, ordonnée et dénuée de vie que Singapour ? » s’interrogeait à l’époque un Thaïlandais dans le courrier des lecteurs d’un quotidien local.
Dans le soi 11 de Sathorn, loin de cette agitation politique, un petit bout de femme s’est installée sur la chaussée. Frôlée par les voitures qui filent à toute allure, Nittaya, 65 ans, détaille sa recette éprouvée par 40 ans de rue : des nouilles de riz, des crevettes, de l’huile, du tofu, des oeufs, des pousses de haricots blancs, du citron vert, de la cébette, du sucre, du piment et des cacahuètes. Elle l’a apprise en regardant faire les autres.
Avant, explique-t-elle, elle vendait des kanom thai, des gâteaux thaïs en forme de petite sphère, mais le phat thai rapporte plus et comme Nittaya vit seule avec son arrièrepetit-fils qui compte sur elle, elle a décidé d’apprendre dans le chaos des klaxons et des gaz d’échappement de la capitale. Tout sourire elle saisit une casquette qui pend au-dessus de son étal et la visse sur sa tête en lançant comme une bravade : « Je te donne ma recette mais il faudra me montrer le magazine ! »

Depuis 40 ans, le sourire de Nittaya illumine le soi dans lequel elle s’est installée.

INGRÉDIENTS

• 400g de nouilles de riz épaisses séchées (banh pho) • 4 grosses gousses d’ail hachées finement • 1 petit bouquet de coriandre (hacher finement les tiges et les racines et réserver les feuilles) • 50 ml d’huile végétale • 200 g de crevettes crues pelées • 85 g de tofu • 1 cuillère à soupe de sucre • 3 oeufs battus • 2 cuillères à soupe de sauce d’huîtres • 2 cuillères à soupe de sauce au Tamarin (ou de poisson à défaut) • 300 g de pousses de soja (haricots blancs) • Le jus d’un citron vert • 1 bouquet de petits oignons de printemps (ou cébettes), tranchés sur la diagonale • 100 g d’arachides grillées, écrasées • 3 piments rouges, épépinés et hachés finement

La préparation

1. Faire tremper les nouilles dans l’eau froide pendant 2 heures au moins, puis égoutter et mettre de côté. À l’aide d’un pilon et d’un mortier, piler l’ail avec les tiges et les racines de coriandre hachées.

2. Faire chauffer l’huile dans un wok à feu vif. Lorsque celle-ci frémit, y verser le mélange d’ail et de coriandre. Remuer quelques instants, puis ajouter les crevettes et le tofu. Cuire pendant 30 secondes, et saupoudrer le sucre.

3. Ajouter les nouilles et remuer pendant 1 minute, en s’assurant que tout est bien mélangé, puis les oeufs et cuire 2 minutes de plus.

4. Verser la sauce d’huîtres et la sauce au Tamarin (ou la sauce de poisson), puis ajouter les germes de soja, le jus de citron vert, la plupart des oignons de printemps, des arachides rôties et des piments.

5.Mélanger et cuire pendant environ 2 minutes, puis servir après avoir parsemé des feuilles de coriandre et le reste du piment, des arachides et des oignons.

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