« Seule la joie porte le monde ! »

Alexandre Jardin nous reçoit joyeusement, l’esprit affairé et toujours en alerte. En homme de lettres et d’action, il devise sur les verbes faire, lire, apprendre, aimer. Rencontre avec un joyeux « faiseux » !

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Alexandre Jardin nous reçoit joyeusement, l’esprit affairé et toujours en alerte. En homme de lettres et d’action, il devise sur les verbes faire, lire, apprendre, aimer. Rencontre avec un joyeux « faiseux » ! Propos recueillis par Matthieu Delaunay – Photos : Antoine Besson

Dans votre dernier livre Laissez-nous faire !, vous écrivez qu’il n’y a plus de crédit moral aujourd’hui en France. Comment gouverner sa moralité et augmenter son crédit moral ?

Alexandre Jardin : La seule manière d’obtenir du crédit moral c’est de rendre service à quelqu’un, de faire sortir l’action politique du marché de la promesse. Je fais d’abord, et je ne vous demande pas de voter pour moi. Les Zèbres [membres de l’association Bleu blanc zèbre, fondée par Alexandre Jardin, ndlr] sont des gens qui passent à l’acte tout de suite. En montant notre opération « Lire et faire lire », nous avons développé une action qui touche 400 000 enfants, soit beaucoup de gens. On implique 16 000 citoyens qui deviennent acteurs du crédit moral. Je le sais parce que je travaille dans les cafés. Il m’arrive tous les jours de rencontrer quelqu’un qui dit « merci pour ce que vous faites pour nos enfants. » La question du crédit moral est centrale, essentielle. Sans lui, rien n’est possible. Agir donne du crédit qui permet d’agir encore plus. Des gens qui ont du crédit, il y en a plein. Mais ils sont dispersés ! Il faut donc les fédérer. Mais sans faire de calcul.

Vous avez parlé de « Lire et faire lire », que revêt pour vous la lecture alors que plus grand monde ne lit ?

Alexandre Jardin : Pour moi il était naturel d’être fécondé par les livres, je suis un fils d’écrivain ; mais j’ai tout de même conscience que nous sommes assez peu nombreux dans ce cas [rires]. Il fallait donc imaginer autre chose. Nous allons inverser cette tendance. Nous allons mettre de plus en plus de retraités dans les établissements scolaires. [« Lire et faire lire » ambitionne de donner le goût de la lecture aux jeunes élèves grâce à un réseau de bénévoles retraités, ndlr]. Il n’y a aucune forme de fatalité. Nous allons devenir un grand peuple de lecteurs en misant sur l’action des anciens. Rien n’est jamais écrit d’avance. Rien !

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Comment redonner à un enfant où à un adulte le plaisir d’ouvrir un livre alors que nous sommes tous davantage devant des écrans que dans des bibliothèques ?

Alexandre Jardin : En commençant dès la moyenne section et en passant du temps avec eux. La question de la transmission est essentielle : trouver des êtres humains qui ont envie d’apprendre cela à des petits. Il se trouve que les personnes vieillissantes ont besoin de vivre avec des enfants pour vieillir mieux. Nous avons utilisé ce besoin. Il y a un problème de transmission en France. Les politiques publiques sont construites par des technocrates qui n’ont jamais réfléchi à la question de l’émotion que la transmission génère. Les enseignants autrefois vivaient dans les villages, ils y croisaient les enfants, leurs élèves parfois. Si les gosses faisaient les cons sur la place de la mairie ils le savaient et le disaient. Aujourd’hui nous assistons à une fonctionnarisation, des gens avec des horaires qui ne vivent plus avec les populations. Autrefois, le lien affectif avec les enfants était infiniment plus puissant. S’il existe encore aujourd’hui, c’est un point que l’on met rarement en avant. Or, dans l’apprentissage de la lecture il y a une dimension affective colossale, sans doute plus importante que la question de la méthode ! Quand un enfant se sent aimé, il donne le meilleur de lui-même, ce qui suppose que des liens soient tissés. C’est ce que nous faisons avec « Lire et faire lire ».

Qu’est-ce que vous auriez envie de dire à un enfant français pour le motiver à aller tous les jours à l’école pour apprendre ? Que représente pour vous l’éducation ?

Alexandre Jardin : C’est une manière de trouver sa joie. On ne peut pas trouver sa joie dans toutes les matières, mais le repas est suffisamment varié
pour qu’il y ait toujours quelque chose à manger ! C’est une chance hallucinante d’être invité à cette table quand on est un enfant. Une école c’est ça : c’est un festin.

Vous parlez beaucoup de l’ego de nos politiques, mais est-ce qu’il ne faut pas beaucoup d’ego pour être Alexandre Jardin, pour agir,
rendre service ? La gratuité dans le don, si elle est toujours belle, n’est pas toujours complète.

Alexandre Jardin : Quand on comprend que c’est un plaisir supérieur de donner plutôt que de recevoir, on donne sans réfléchir. J’ai compris que l’action politique était une source de joie à partir du moment où on renonce à vouloir prendre. Tous les gens qui s’occupent du collectif et qui ont dans l’idée qu’il faut obtenir du pouvoir pour être satisfaits sont dans un grand état de faiblesse !

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Que voulez-vous dire à la soixantaine de nos volontaires partis sur le terrain, ceux qui hésitent et ceux qui partent à l’autre bout du monde pour s’engager ?

Alexandre Jardin : Quelque chose de simple : être citoyen c’est prendre du plaisir en donnant. La seule source de joie sur terre, c’est les autres. Courir le risque de les rencontrer, c’est tout de même se mettre en très belle position pour être heureux ! Dès qu’on a peur on diminue sa vie, dès qu’on ouvre sa porte et sa fenêtre on vit beaucoup mieux !

« On ne s’engage plus, les jeunes sont égoïstes, ils ont peur de s’inscrire dans la durée… » Que répondez-vous aux cyniques ?

Alexandre Jardin : Rien. Ces gens me donnent envie d’être tendre avec eux parce que je les vois en détresse. La posture des cyniques est une posture de détresse affective, humaine. Je trouve surtout très étrange de choisir de jouer le mauvais rôle.

Nous avons beaucoup parlé d’amour et de joie…

Alexandre Jardin : La joie c’est la seule force qui porte le monde. Tout ce qui a été créé l’a été par des personnes qui ont eu de la joie dans le ventre ! Ça n’a jamais été créé par des institutions, les institutions sont des emplâtres que l’on construit pour maintenir cette joie et naturellement elle la tue. Et pour que la joie revienne, il faut qu’il y ait l’envie première de faire, de créer. Mais le besoin de joie et le besoin de pouvoir sont deux choses antinomiques. Le pouvoir attire des névroses, l’engagement direct attire de la joie. Aux gens qui sont tristes, déprimés je leur crie : « Agissez, vous verrez, on va beaucoup mieux ! » Quand on fonde une entreprise quand on s‘engage, quand on fait, on est heureux. Les peuples dépressifs sont des peuples qui ne pensent pas suffisamment à l’action ! L’action libère !