Retour de Bambous : «J’accueille la France à bras ouverts ! »

Pauline Dupraz, Catherine Jouy et Pauline Leroux rentrent de leurs missions de volontaires Bambous chez Enfants du Mékong (EdM).

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 Au cours de la dernière réunion de famille qui se tenait comme tous les ans au siège de l’ONG, elles se sont prêtées à l’exercice du retour d’expérience. Conversation à bâtons rompus.
Propos recueillis par Matthieu Delaunay, photos : Antoine Besson

Pouvez-vous vous présenter ?

Pauline Dupraz : J’ai 27 ans, je suis Lyonnaise et j’ai fait trois ans de mission chez Enfants du Mékong après mes études de kinésithérapie. Ce fut d’abord au Cambodge, pendant un an au centre Docteur Christophe Mérieux où j’étais responsable d’un foyer de vingt étudiantes de première année. Je m’occupais aussi d’une formation humaine qui avait pour but le développement de la personne par le biais de la culture générale, le développement du service et différentes
activités. J’ai ensuite fait de la coordination de programmes de parrainages [pour assurer le suivi et le soutien des filleuls sur le terrain, ndlr] et de projets au Cambodge puis en Birmanie.

Catherine Jouy : J’ai 23 ans, je viens d’Auvergne et j’étudiais depuis cinq ans à l’école Polytechnique. Pour mon année de césure, j’ai décidé de partir en Birmanie pour participer à la mise en place de la formation professionnelle. Je suis rentrée il y a deux semaines.

Pauline Leroux : Et moi j’ai 27 ans et viens de l’Orne. J’ai passé trois ans et demi dans le conseil avant de partir en mission humanitaire. Je reviens d’un an
au Cambodge où j’étais responsable de la formation professionnelle au centre Docteur Christophe Mérieux. L’objectif est de permettre aux étudiants d’ouvrir
les yeux sur le monde professionnel par le biais de conférences, de visites d’entreprises et de cours spécifiques. En même temps, j’étais responsable de foyer pour vingt étudiants qui étaient en première année d’études.

Qu’est-ce qui vous a amenées à partir, et pourquoi partir pour Enfants du Mékong ?


P.L. :
Travailler dans le conseil était très formateur mais manquait de sens. Ce qui m’a intéressée chez EdM c’est le suivi des jeunes et des Bambous et la possibilité de partir pour des missions de plus d’un an. C’est aussi l’esprit de famille, que l’association soigne beaucoup, qui m’a particulièrement attirée.

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C.J. : J’avais besoin d’une expérience complètement différente et de sortir de l’esprit lié à mon école. J’ai voulu partir pour me former et, peut-être, apporter quelque chose à d’autres. Dans ce sens, EdM, par le biais de formations professionnelles et humaines, permet aux volontaires d’apporter des connaissances tout en réalisant une expérience extrêmement professionnalisante.

P.D. : Durant mes études j’étais très engagée dans le milieu associatif à Lyon. Ces expériences m’ont toujours beaucoup marquée. À la fin de mes études, j’ai voulu me mettre à disposition pour une expérience de service total dans un contexte d’inter-culturalité. Je voulais vraiment partir à l’étranger. J’ai rencontré plusieurs Bambous qui rentraient de mission. Ces témoignages m’ont passionnée. Je me suis renseignée sur l’association et me suis retrouvée en adéquation complète avec ses valeurs : le respect de la personne, la recherche de la dignité avant tout, cet aspect extrêmement familial mêlé à ces missions très professionnelles.

La quête de sens est une récurrence chez les Bambous. Est-ce cela qui vous a poussées à partir ?

C.J. : Il y a une recherche générale de sens qui est liée davantage à notre époque qu’à notre âge. Beaucoup de gens sont intéressés par nos missions. Partout, on nous interroge, parce que cela attire de connaître des expériences désintéressées d’une personne envers une communauté.

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P.L. : En mission, on se rend compte que l’on est des privilégiés. Cette situation nous fait ouvrir les yeux sur le monde, ce qui se passe. D’où cette question : « Ce
que j’ai reçu, est-ce que je n’ai pas envie de transmettre ? » Tout part de là. Après il y a une question de génération dans la mesure où celle de nos parents pouvait
passer quarante ans dans la même entreprise sans difficultés. Je crois que la nôtre est plus ouverte sur le monde, et nous avons envie d’apporter du dynamisme dans ce que nous voyons.

Peut-on agir de manière totalement désintéressée ?

P.L. : C’est pour ajouter une valeur à nos vies que nous sommes parties. Mais évidemment, cela passe par les autres.

C.J. : Cela aurait été hypocrite de partir en pensant donner sans rien recevoir en retour. Nous savions que nous recevrions beaucoup. Partir loin, nous l’avons d’abord fait pour nous. Mais là où je reviens à cette notion de sens, c’est que l’on a fait quelque chose sur le terrain qui avait du sens, de l’intérêt. Au premier abord, ce sens pouvait être beaucoup plus visible que dans le monde de l’entreprise en France.

P.D. : Partir en mission c’est aussi, d’abord, une volonté de partager. Ce n’est certainement pas un reniement de soi, au contraire. C’est une volonté de s’affirmer complètement et de se montrer à l’autre. En ce sens, la question de l’intérêt ou du désintérêt est hors sujet. On reçoit autant qu’on donne. Et pas toujours ce qu’on attendait.

Quel regard portez-vous sur votre pays depuis que vous êtes rentrées ?

P.D. : Là-bas, j’ai plus eu conscience du passé historique et culturel de notre pays. En rentrant je me suis passionnée pour le siècle des Lumières. Je trouve
que notre héritage est énorme. Mais c’est quelque chose dont je n’avais pas conscience avant de partir en mission. Si je n’ai pas trouvé que mon pays avait changé, en revanche, je suis vraiment marquée par le fait que les gens recherchent un sens, dans leur travail notamment. Beaucoup plus qu’avant. On crée de plus en plus de mouvements communautaires qui entrent en confrontation avec l’individualisme souvent vanté dans nos sociétés occidentales. Je me sens beaucoup plus témoin et actrice de ce qu’est mon pays aujourd’hui.

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C.J. : Je pense qu’on a pu vivre avec un certain recul des évènements qui ont été difficiles pour la France. Surtout, nous nous sommes rendu compte de la chance que nous avions de vivre dans notre pays et de cette envie de France qu’ont les jeunes d’Asie. Pour eux, c’est un eldorado. Ils voudraient y vivre pour des raisons simples : l’accès à la santé, à l’éducation. Toutes ces chances que l’on a encore en tant que Français, malgré le fait que le tissu social s’effiloche de plus en plus. Je suis rentrée depuis trop peu de temps pour pouvoir avoir une vision plus globale sur l’état du pays, mais j’accueille la France à bras ouverts !

Maintenant que vous êtes rentrées, quels sont vos projets ?

P.L. : Ces gens très pauvres avec qui nous avons travaillés, avec très peu de moyens matériels, arrivent à vivre dans l’instant présent et l’optimisme. C’est cela que je voudrais préserver : cette fraîcheur d’existence qui pousse à ne pas rester enfermé. Je veux sortir encore de ma zone de confort qui permet de prendre du recul sur mes vrais besoins. Je crois que dans le monde de l’entreprise, il y a des choses intéressantes d’Asie à mettre en place ici. Je pense à l’optimisme, la persévérance et un regard serein sur l’avenir.

P.D. : Ce qui m’a le plus marquée était de voir à quel point la communauté asiatique incluait les personnes âgées dans la vie du village ou du quartier et combien leur place était respectée et recherchée. En France je me demande quelle est leur place, aujourd’hui et dans les années à venir. Je crois qu’on a beaucoup à faire sur les courants intergénérationnels : chercher à redonner une importance aux personnes âgées, une dignité, pour que leur richesse puisse rejaillir sur les nouvelles générations.

C.J. : EdM travaille avec des partenaires locaux qui développent des réponses à des problèmes locaux. C’est très important. Il y a des personnes qui développent
des petites formations professionnelles pour trouver des solutions aux problèmes de leur pays. Le fait de travailler avec des Birmans qui ont des initiatives modestes et concrètes pour leur pays m’a donné encore plus foi en l’entreprenariat social, ici en France.

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Votre rapport au temps a-t-il changé depuis votre mission ?
C.J. : En Birmanie, je n’ai pas eu une notion du temps différente de la nôtre. J’ai eu la chance de vivre les premières élections libres et cela m’a vraiment questionnée sur notre système politique français. Tout le monde montrait son doigt peint [symbole que la personne a voté, ndlr] et en France j’entends déjà des gens dire qu’ils n’iront pas voter. Vivre la démocratisation devant soi fait repenser son action politique ici en France. Comment m’impliquer davantage ? C’est ma question.

P.L. : Je suis partie avec un côté très occidental qui veut que tout soit cadré, efficace. Au Cambodge, je me suis rendu compte que j’étais complètement en dehors du sujet. J’ai dû casser le moule, débrancher pour prendre du recul. Aujourd’hui, je suis encore très imprégnée de cette atmosphère d’Asie. Il y a deux ans j’aurais sans doute été beaucoup plus efficace dans ma recherche d’emploi, mais maintenant je veux prendre le temps pour réfléchir, et choisir. Je ne veux pas être efficace pour être efficace. Mais est-ce que dans un an j’aurai conservé cette expérience ? Je l’espère.

P.D. : Mon rapport au temps à changé et cela se manifeste le plus dans les transports. Je suis devenue beaucoup plus sereine. Je fais beaucoup de rencontres dans ces moments-là alors qu’avant je pensais que je n’avais pas de temps à perdre. Aujourd’hui je vis le moment présent en me laissant porter par ce qui m’entoure.

C.J.: Ceux avec qui nous vivions nous ont enseigné à prendre le temps pour faire bien les choses. Ils nous ont appris à utiliser ce temps différemment. Pour accueillir l’autre, tourner ce temps vers l’humain. Pour ne plus seulement se focaliser sur un objectif qui est une vision égoïste du partage : on économise du temps pour faire une autre tâche ou pour garder du temps pour soi. Les Birmans mettent plus de temps que nous, c’est vrai, mais eux passent aussi plus de temps pour les autres !