Au chevet de mon filleul

Mère d’une enfant qui ne se déplace qu’en fauteuil roulant, Hélène a voulu parrainer un jeune Vietnamien qui vivrait qui vivrait les mêmes défis que sa fille. C’est ainsi qu’elle a fait la connaissance de Bao Tan. De cette rencontre sont nés une relation et un engagement qui l’ont conduite à faire des kilomètres pour être présent au chevet de son filleul.

Comment vous est venue l’idée de parrainer un enfant ?

Ma sœur était très impliquée chez Enfants du Mékong depuis longtemps et pourtant l’idée du parrainage ne m’était jamais venue à l’esprit. Elle ne m’avait d’ailleurs jamais proposé de parrainer de manière explicite. Mais au bout de deux ou trois ans, à entendre ses récits et les histoires de ces enfants, j’ai commencé à m’y intéresser. J’ai moi-même une enfant handicapée en fauteuil roulant. Et comme mon mari et moi aimons beaucoup voyager, nous avons eu l’occasion d’aller notamment en Afrique où je me suis rendu compte à quel point nous avions de la chance. Nous y avons vu des enfants handicapés comme notre fille mais qui ne bénéficiaient d’aucune prise en charge, d’abord faute de moyens mais aussi faute d’infrastructure dans les pays eux-mêmes. Non seulement ils ne savent pas prendre en charge ces enfants parce qu’ils n’ont pas les médecins spécialisés, mais ils n’ont même pas la connaissance de ces maladies ou du handicap. Les enfants ne sont pas abandonnés car ils sont tout de même aimés et choyés, mais ils sont au degré zéro de la prise en charge. Ma fille, elle, dès ses 18 mois, a été appareillée, suivie par des kinés. Elle a eu tout ce qu’il fallait pour qu’aujourd’hui à 10 ans, quand on la voit assise, bien qu’on sache qu’elle est handicapée, elle ne soit pas complètement déformée par son handicap. Les enfants que j’ai rencontrés en Afrique l’étaient par manque d’appareillage. Si je n’avais pas eu d’enfant handicapé, je n’aurais pas été touchée à ce point par ces enfants.  Je me suis dit : « c’est terrible. On peut faire quelque chose ! »

©Antoine Besson

Ces déformations vous auraient paru faire partie du handicap ?

Oui, voilà ! Cet enfant tordu sur sa chaise, les pieds livides, les mains rentrées vers l’intérieur, c’est parce qu’il est handicapé ? En fait, non ! Pour la plupart, ce n’est pas le handicap qui provoque cela mais le fait qu’ils n’ont jamais eu d’atèles, de séances de kiné, de corset, de verticalisateur… Des termes que beaucoup de gens ne connaissent pas mais que moi, de par mon histoire, je connais. J’ai donc une chance folle avec ma fille d’être bien suivie et aussi la chance que tout cela soit pris en charge parce que, si je devais tout payer, je n’en aurais jamais eu les moyens. J’ai donc parlé à ma sœur, je lui ai demandé si je pouvais parrainer un enfant, mais je ne voulais pas n’importe quel enfant. « Une petite fille avec un visage d’ange et un sourire ravageur, c’est facile de la parrainer, lui ai-je dit ! Moi je voudrais un enfant handicapé, un enfant pour qui c’est compliqué parce que je sais et je comprends ce dont il aura besoin. » Mais c’est vrai que ça n’a pas été instinctif. Cette envie de venir en aide à ces enfants est venue progressivement.

Et c’est venu avant tout de votre histoire personnelle ?

Oui, je pense. Je n’aurais pas eu conscience de ces choses sans cela. Je n’aurais pas su que, si on met des atèles aux pieds d’un enfant qui ne marche jamais, le pied reste droit et on peut le chausser. Alors que Bao Tan, mon filleul au Vietnam, ne peut plus mettre de chaussures.

Comment cela se passe-t-il de parrainer un enfant handicapé ? Comment se sont passés les premiers contacts avec Bao Tan ?

J’avais donc fait cette demande particulière d’un enfant handicapé en précisant que, au-delà des 28 euros mensuels du parrainage, je pouvais aussi faire face à des demandes particulières de supplément pour aider mon filleul en cas d’hospitalisation ou de besoins particuliers. Mais, au départ, je l’ai surtout aidé dans sa scolarité. Il m’a écrit une première lettre qui me remerciait infiniment de lui permettre d’aller à l’école et il m’a expliqué sa vie. Il se trouve que Bao Tan est extrêmement solitaire, sa maman étant elle aussi handicapée, immobilisée sur un lit. Très vite, ses lettres sont devenues tristes. Il me disait qu’il était triste de ne pas avoir de papa, qu’il aimerait que quelqu’un s’occupe de lui, que sa maman puisse le prendre dans ses bras. Il n’a rien de tout cela !

Comment réagit-on face à ces confidences quand, en plus, on peut comparer avec sa propre vie de famille ?

C’est là où je me suis réellement rendu compte de la chance que nous avions ! On est dans une société où l’on se plaint énormément et où on n’a jamais assez : c’est toujours mieux ailleurs. Mais ce genre de témoignage ne peut que nous faire prendre conscience de la chance que nous avons en France. Il n’y a pas besoin d’aller jusqu’en Asie du Sud-Est pour en prendre conscience. Aux Etats-Unis, même une bonne situation financière ne permet pas forcément une prise en charge correcte d’un enfant handicapé ! Cela donne encore plus envie de donner et pas forcément de l’argent. De donner du temps. Je faisais écrire mes enfants. Je lui ai raconté que Philippine était en fauteuil roulant, que je comprenais ce qu’il ressentait quand il m’écrivait qu’il était triste de ne pas pouvoir marcher. Philippine, qui est très bien prise en charge, développe d’autres dons : elle ne peut pas marcher ou danser mais elle dessine très bien et utilise l’ordinateur. Elle a des projets d’avenir ! Bao Tan, lui, m’écrit qu’il ne pourra jamais rien faire, qu’il sera toujours un poids pour sa famille. Il y a une grande résignation dans ses lettres. Alors j’ai essayé de lui expliquer que l’école pourrait lui ouvrir un avenir s’il travaillait bien. Que l’on n’a pas forcément besoin de marcher pour être architecte ou faire de l’animation par exemple.

Hélène et sa plus jeune fille ont rendu visite à la famille de Bao Tan. ©Antoine Besson

Vous avez l’impression qu’il entend ce que vous lui dites ? Est-ce que vous avez l’impression de réussir à le réconforter ?

Ce n’est pas facile ! Il est très déprimé dans ses lettres. Malheureusement le petit garçon que j’ai rencontré était dans le coma depuis trois semaines après une embolie pulmonaire et venait tout juste d’en sortir. Il était allongé sur un lit, il ne parlait pas et ses yeux balayaient le plafond. Il n’a pas esquissé un sourire, donc je ne suis pas sûre qu’il était conscient. Mais je ne perds pas espoir. Je donne tout ce que je peux et je m’accroche comme je souhaite qu’il s’accroche. Je suis sûre que le fait de lui écrire régulièrement, de l’encourager, ne peut que le réconforter mais je ne sais pas si le but sera atteint ! Je ne sais pas si j’y parviens réellement. Je pense que c’est toujours réconfortant d’avoir une lettre, de savoir qu’en cas de gros coup dur, il peut compter sur l’aide d’un parrain et d’une marraine qui pourront subvenir à ses besoins mais il ne l’a jamais dit.

Vous ne savez pas si votre soutien moral, au-delà du financier, a une réelle influence ?

C’est pour cela que j’ai pris la décision d’aller le voir dès que j’ai su qu’il était malade ! Je savais qu’il ne me verrait peut-être pas mais je voulais être présente pour lui et sa famille, pour montrer que j’étais vraiment là et que ce n’était pas juste un soutien financier. Envoyer de l’argent quand on en a c’est, d’une certaine manière, assez facile mais je voulais aussi être là pour eux. Cette famille est dans une détresse financière c’est certain, mais ils souffrent aussi d’une grande détresse affective. Ils ne sont pas du tout démonstratifs ou tactiles mais je n’ai rien su faire d’autre que de les prendre dans mes bras parce que c’est la seule manière que je connaisse de démontrer mon affection. J’ai donc pris Bao Tan dans mes bras, je l’ai embrassé ainsi que sa tante qui le veille jour et nuit. Je lui ai dit qu’on serait là quoi qu’il arrive et j’imagine avec mon tempérament d’Occidentale que ça, c’est aussi important voire plus important que de recevoir de l’argent. Je ne peux donner que ce que j’ai reçu et moi j’ai reçu de l’affection avant de recevoir de l’argent. Pour un enfant, je trouvais donc que c’était important de recevoir de l’affection en plus de l’argent.

 

En fait c’est le principe du don. Vous ne savez pas ce qui naîtra en retour, vous ne savez même pas si ce que vous donnez atteint réellement son but, vous ne pouvez que l’espérer.

Votre voyage au Vietnam était prévu ou c’est uniquement pour aller le voir que vous avez fait le déplacement ?

Pas du tout. J’ai reçu une lettre alarmante de la famille de Bao Tan avec des photos de lui entubé, nu sur un lit d’hôpital. Des images qui m’ont beaucoup choquée. Ils avaient un besoin immédiat d’argent pour payer l’hospitalisation et Bao Tan était entre la vie et la mort. J’ai donc paré au plus urgent en envoyant le nécessaire pour la prise en charge médicale et puis j’ai fait les démarches pour aller le voir. Parce que lui, dans le coma, sur son lit d’hôpital, l’argent il s’en moque, il veut qu’on soit là et qu’on le rassure. Ça a donc pris un peu de temps à organiser mais j’ai finalement pu le voir un mois et demi après. J’espère qu’ils seront certains de notre dévouement. Ces gens nous touchent. Je ne vous dirai pas que je les aime car je ne les connais pas assez mais nous avons un attachement tout spécial pour eux et nous tenons vraiment à les aider jusqu’au bout sur tous les plans et pas uniquement financier.

Les abords de la maison de Bao Tan ne sont pas adaptés à un fauteuil. ©Antoine Besson

 

Vous avez associé à ce parrainage Philippine qui envoie notamment des dessins. Comment a-t-elle réagi ?

Vous serez peut-être surpris de savoir que ça a beaucoup apporté à Philippine qui, même si la prise en charge est excellente, vit parfois des moments difficiles. Quand elle a su l’histoire de Bao Tan, elle a pris conscience que, d’une certaine façon, dans son malheur elle avait de la chance. Ça la rebooste un peu. Elle a vu le bon côté des choses. Quand Bao Tan a eu des difficultés pour aller à l’école parce que non seulement il ne pouvait pas marcher mais qu’il commençait à avoir des difficultés pour tenir sa tête droite, elle s’est rendue compte qu’elle aurait toujours le soutien d’assistantes de vie scolaire (AVS), ce que lui n’avait pas. Elle a pris conscience de toute l’aide dont elle bénéficie sans que ça aille de soi pour d’autres enfants qui auraient le même handicap dans le monde. Du coup ça l’a aidée aussi.

Interview de Hélène Ajenjo y Jordan par Antoine Besson

 

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