Une vie au service du peuple Jaraï

Au cœur des hauts plateaux du centre du Vietnam, une Kinh a embrassé le destin des Jarai et œuvre pour leur survie et leur scolarisation. Portrait d’une femme dont l’énergie a sauvé près de 1000 enfants d’une mort certaine.

« Certains de mes frères Jaraï me surnomment Yă Pôm. » Diễm Ly, la cinquantaine, parle avec simplicité. Chez elle, la fausse modestie n’a pas trouvé place. « Une vieille histoire traditionnelle évoque la vie de Yă Pôm, une femme sans mari. Yă Pôm recueille Drit, un petit garçon indigent, mais béni de Dieu. Drit grandit et choisit de plaider la cause des pauvres. Il gagne toujours ! Il existe beaucoup d’histoires à propos de Drit et Yă Pôm. D’ailleurs, dans les anciennes prières Jaraï, Yă Pôm est invoquée car elle intercède pour les Hommes. »

Diem Ly entourée de jeunes Jaraï qu'elle soutient dans leur scolarisation ©Antoine Besson
Diem Ly entourée de jeunes Jaraï qu’elle soutient dans leur scolarisation ©Antoine Besson

 

Née à Hué au sein d’une fratrie Kinh (l’ethnie « Viêt », majoritaire à 90% au Vietnam) de douze enfants, Diễm Ly choisit d’aller vivre parmi les minorités Jaraï et Bahnar du Gia Lai suite à l’appel de son évêque en 1991. Arrivée à Pleiku, au centre du Vietnam, Diễm Ly fait une rencontre décisive avec un missionnaire présent depuis plus de trente ans. Le père Tin devient son allié dans sa lutte pour l’émancipation et l’intégration des minorités au sein de la société vietnamienne. La misère est endémique chez les ressortissants des ethnies locales, et plus grave encore, les Jaraï et les Bahnar n’ont plus une juste estime d’eux-mêmes : beaucoup se considèrent alors comme des parias.

Sûrs que les minorités véhiculent des valeurs utiles et bonnes pour la société, Diễm Ly et le père Tin vont dès lors œuvrer pour la sauvegarde des us et coutumes de ces peuples oubliés.

Rendre leur fierté aux minorités humiliées

Le père Tin accompagne Diễm Ly dans ses premiers pas au sein de la communauté Jaraï. Loin de toute condescendance envers un peuple qui ne maîtrise ni la lecture ni l’écriture, le missionnaire encourage la jeune-femme à écrire une thèse au sujet de ces derniers. Car pour aimer, il faut connaître. Et plus encore, donner. Transmettre aux futures générations l’histoire et les traditions de ses pères, afin d’étendre profondément ses racines et devenir des acteurs solides dans une société qui s’évertue à supprimer les particularismes. Or, le père Tin l’a appris malgré lui, faire table rase du passé ne permet pas de bâtir sur le roc. Sans fondations, pas d’avenir pérenne.

Diễm Ly raconte avec délectation son accueil parmi les nouveaux siens. « Au début les Jaraï m’appelaient Chim jông, ce qui signifie perroquet, parce que j’ai appris leur langue très vite ; en à peine deux mois je pouvais leur enseigner des chansons en langue Jaraï. Aujourd’hui certains m’appellent Yă Pôm, d’autres Kruah, ce qui veut dire « tornade », parce que je suis toujours en mouvement, je vais partout pour aider les orphelins. Mais la plupart m’appellent maintenant Amai Ly, ce qui veut dire sœur Ly. Il ne faut pas le prendre dans un sens religieux, littéralement cela évoque le lien fraternel. »

Les Jaraï et les Bahnar vivent sur les terres pauvres et souvent peu fertiles ©Antoine Besson
Les Jaraï et les Bahnar vivent sur les terres pauvres et souvent peu fertiles ©Antoine Besson

Connaître pour mieux aimer et mieux servir

Une sœur, une mère, une fille ; Diễm Ly exprime, pour sûr, toute la gamme possible des liens de parenté. Dotée d’un diplôme de travailleuse sociale, cette femme tenace et courageuse a su mettre en place de nombreuses initiatives pour tenter d’endiguer la pauvreté ambiante. Pour cela, elle a toujours tenu à vivre « pauvre parmi les pauvres », sans jamais juger les personnes, même quand leurs us paraissaient primaires. Au contraire, Diễm Ly a-t-elle cherché des solutions pour libérer ces minorités de traditions qui pouvaient entraver leur édification.

« Chez les Jaraï et les Bahnar, les enfants prennent le nom de famille de leur mère et sont sous son autorité : Amí ta, ama arang, « la mère est tienne, le père est un étranger », c’est pourquoi il est très rare qu’un père prenne soin de ses enfants suite au décès de son épouse. Dans la tradition, quand une mère meurt avant que son enfant soit sevré, elle est enterrée avec l’enfant. Ils pensent qu’après la mort, la mère pourra prendre soin de son nourrisson. En 1992, quand j’ai appris que Kôi, un tout petit garçon à peine né, allait subir ce triste sort, j’ai commencé à mettre en place un projet pour élever les enfants orphelins dans leur communauté et les soustraire à cette mort atroce. Nous avons ensuite encouragé les proches à adopter les orphelins et à les nourrir avec du lait de vache. Nous leur avons montré comment faire. Mais nous avons donné une exigence : l’enfant devra pouvoir aller à l’école. Nous avons donc commencé par aider Kôi dans le village de Tung Dao, et rapidement, nous avons pu sauver 25 orphelins de mère. Petit à petit, les villageois de toute la région nous sollicitaient pour que nous les aidions à sauver ces petits êtres. Puis, on nous a demandé d’aider aussi les orphelins de père. Cela fait maintenant 25 ans que ce projet est en place, nous pouvons constater que ces orphelins grandissent bien dans les familles d’accueil, ils ne se sentent pas différents ou à l’écart. Certains sont même devenus médecins, d’autres enseignants. Ils sont très bien considérés dans leurs villages, car ils sont éduqués, alors que beaucoup de villageois sont encore analphabètes. Aujourd’hui, nous veillons sur 951 orphelins. »

Un système éducatif en péril

Les chiffres sont éloquents. Cependant ces minorités représentent environ 500.000 personnes dans le Gia Lai. C’est pourquoi la question de la pauvreté appelle une réponse au long cours, et requiert de la patience. L’éducation en est l’arme principale. La difficulté majeure est que les minorités ont chacune leur dialecte, or l’enseignement se fait en langue vietnamienne, celle des Kinh, l’ethnie majoritaire. Cela représente un frein dans l’apprentissage des savoirs.

Ama Tet, un vieil ami de Diễm Ly, fait un constat amer au sujet de la classe de sa commune : « L’enseignante ne fait que regarder et rire avec les enfants, les enfants ne font que rire avec l’enseignante, et à la fin de l’année scolaire les enfants iront dans la classe supérieure, en n’ayant rien appris. »

Arrivés au collège, les élèves et les enseignants se comprennent un petit peu mieux, mais les enfants n’ont pas les bases. Sœur Tuyêt, une religieuse dominicaine responsable d’un foyer raconte : « A l’école, Kpa Rit étudie en Lop 7 (5ème), mais revenue à l’internat, elle étudie avec les enfants de 6 ans, parce qu’elle ne sait ni lire ni faire des calculs. » Et le père Tin de rajouter « certains enseignants ont du cœur, ils aiment ces enfants, mais ils disent qu’ils doivent suivre un programme réglementé, et qu’ils ne peuvent pas s’arrêter pour expliquer aux enfants qui ne comprennent pas. C’est pourquoi au lycée, les enfants de minorité quittent souvent le système scolaire. D’autres enseignants sont irresponsables, ils en profitent pour ouvrir des cours supplémentaires pour gagner de l’argent ; une matière enseignée dans ces classes coûte de 8 à 12€ par mois. »

Dans les villages, les classes d'affection créées par Diem ly permettent à des centaines d'enfants d'aller à l'école ©Antoine Besson
Dans les villages, les classes d’affection créées par Diem ly permettent à des centaines d’enfants d’aller à l’école ©Antoine Besson

En outre, les sécheresses à répétitions de ces dernières années ruinent les petits agriculteurs. Certains villageois souffrent de la faim. Un vieux dicton Jaraï semble alors criant d’actualité « On meurt de la faim du ventre ; on ne meurt pas de la faim des lettres ». L’éducation est donc à la fois une réponse et un défi. Pour dépasser ces obstacles qui viennent obstruer la voie de l’éducation des jeunes générations, Diễm Ly a eu une idée lumineuse : mettre en place des « Loving classes », des « classes d’affection » en français. Encore une fois, pour transmettre en profondeur, il faut d’abord aimer. L’appellation de ces classes n’est pas due au hasard.

Une seconde chance

Les professeurs d’origine Jaraï et Bahnar enseignent les enfants dans leurs villages. Au Vietnam, les cours ont lieu le matin ou l’après-midi. Quand ils ne sont pas à l’école publique, les jeunes se rendent dans leur classe d’affection, souvent limitrophe de leur maison. Les professeurs connaissent les élèves et leur famille, et ils enseignent dans leur langue maternelle ainsi qu’en vietnamien. D’autre part, ils veillent à ce que chacun avance étape par étape, en ayant assimilé les différents points. Les enseignants aident aussi les élèves à faire leurs devoirs, et dans le meilleur des cas, à prendre de l’avance. Ainsi, les enfants reprennent-ils confiance en eux-mêmes. Le système fait ses preuves et n’a pas dit son dernier mot.

Ama Tet est un vieil ami de Diem Ly ©Antoine Besson
Ama Tet est un vieil ami de Diem Ly ©Antoine Besson

Agathe Damon

Grâce à 50 parrainages collectifs, Enfants du Mékong permet à plus de 937 élèves de suivre gratuitement des cours dans 24 classes d’affection en rémunérant 19 professeurs. Cette aide est inestimable pour Diễm Ly et le père Tin. Or d’autres professeurs attendent encore d’être employés pour ouvrir des classes à travers différents villages.

Toutes les informations sur parrainage.enfantsdumekong.com !