Les fontaines khmères

Au Cambodge, les initiatives pourvoyant les populations les plus reculées en eau potable ne manquent pas. La tâche reste énorme pour ce pays à majorité rurale, mais une réussite éclatante à Phnom Penh permet d’envisager de belles perspectives et, peut-être, un avenir en bleu.

Au zénith, le soleil martèle sans pitié la ville de Phnom Penh. Pearinth, travailleur social au centre docteur Christophe Mérieux, rentre d’une visite de programme la bouche sèche. Quand il tourne le robinet, de l’eau claire et potable coule de façon continue et presque à la demande sur son visage. Une performance, pour un des pays les plus pauvres d’Asie du Sud-Est, et le résultat d’un travail lancé au milieu des années 1990 par la PWSA, la régie des eaux de Phnom Penh dirigée par Ek Sonn Chan. Celui-ci, qui depuis est devenu Secrétaire d’État au ministère de l’Industrie et de l’Artisanat, a laissé un exemple mondial de savoir-faire : plus de 80% des habitants de l’agglomération de la capitale ont accès à l’eau potable. « L’accessibilité à l’eau potable instituée en droit de l’Homme par les Nations Unies en 2010 est une excellente chose, d’autant qu’elle a été appuyé par la Cop 22 qui s’est tenue au mois de novembre 2016 au Maroc, un pays où l’enjeu de l’eau est aussi très important., explique Diane d’Arras, nouvelle présidente de l’IWA (Association internationale pour l’Eau). Les gouvernements ont désormais l’obligation de mettre en place des systèmes pour que la population ait un service d’eau et d’assainissement. Le droit à l’eau potable veut dire : droit à un service de bonne qualité, continu et abordable : la tâche reste immense ! » Au Cambodge, l’exemple de Phnom Penh commence à s’étendre aux autres grandes villes du pays, même si il peine encore à gagner les contrées les plus reculées.

Dans les villages reculés du Nord-Ouest, la distribution de filtres en céramique se développe. @Matthieu Delaunay
Dans les villages reculés du Nord-Ouest, la distribution de filtres en céramique se développe. @Matthieu Delaunay

 

Une course poursuite

 

« Le problème de l’accès à l’eau potable doit s’entendre ainsi : des politiques volontaristes entrent en conflit avec une croissance démographique très importante. C’est une course poursuite. » Gérard Payen, ancien conseiller pour l’eau et l’assainissement auprès du Secrétaire général des Nations Unies, parle dru. Dans un café parisien, le polytechnicien expose le problème en quelques phrases bien senties. « En premier lieu, il y a la ressource en eau. Dans beaucoup d’endroits, il est difficile de satisfaire toutes les demandes car les hommes utilisent de plus en plus d’eau. Or, la quantité d’eau renouvelée est toujours plus ou moins la même, mais pourtant chaque année la quantité d’eau disponible et utilisable se raréfie en raison de la pollution de la ressource et de la surexploitation des réserves d’eau souterraine. Il y a ensuite le problème de l’accès des populations à l’eau potable et à l’assainissement. Troisième volet : les pollutions de l’eau dues aux activités humaines. 80 % des eaux polluées par l’homme sont rejetées dans la nature sans aucun traitement. Enfin, il y a les catastrophes liées à l’eau : inondation, sécheresse ou tsunami. »

Une participation financière de quelques dollars est demandée aux familles qui reçoivent un filtre en céramique @Matthieu Delaunay
Une participation financière de quelques dollars est demandée aux familles qui reçoivent un filtre en céramique @Matthieu Delaunay

Si le Cambodge n’a pas encore de problème de ressource en eau, les périodes de sécheresse sont « de plus en plus longues et ont été inégalées en 2014 et 2015 en attendant 2016 », selon Khykeng Hor, directeur de l’Association d’approvisionnement en eau du Cambodge. C’est aux trois points suivants : accès à l’eau pour les populations, pollutions de l’eau et les catastrophes naturelles que le pays doit faire face aujourd’hui. « L’accès à l’eau est un sujet en lui-même qui est affecté par les trois autres. Les inondations ou les catastrophes naturelles sont un vrai problème en Asie du Sud-Est. Une inondation, c’est la diffusion généralisée de la pollution. C’est habituellement en cas d’inondation qu’il y a le plus d’épidémies. » C’est justement pour lutter contre les épidémies qui frappent les populations rurales les plus reculées que l’association Espoir en Soie a décidé d’agir. Après avoir creusé des puits et des réservoirs, elle a décidé d’équiper tous les villages du district de Banteay Chhmar, au nord-ouest du Cambodge, de filtres en céramique. Ces filtres sont enduits de particules colloïdales d’argent qui arrêtent bactéries et particules solides, rendant l’eau parfaitement buvable. L’objectif de l’association est de doter en filtres les 66 000 habitants de la région en trois ans. Un filtre coûtant 18 dollars, il a été demandé aux familles, pour qu’elles veillent soigneusement à son entretien, une participation de 4 dollars US. Les 14 dollars restants sont pris en charge par l’association. On estime que 20 à 30 % des familles au Cambodge sont équipées d’un filtre. Les autres boivent l’eau de la mare à buffles. Pasteur estimait que nous buvons 90% de nos maladies. L’urgence est d’autant plus importante qu’au Cambodge, un enfant sur cinq n’atteint pas l’âge de 5 ans. Seul bémol à cette initiative très efficace : le filtre ne traite pas la pollution chimique. Or le Cambodge en compte beaucoup, en particulier dans le Mékong qui regorge d’arsenic. Prenant sa source au Tibet, son débit très rapide entraîne quantité de roches qui contiennent de l’arsenic. Au Cambodge, le lit du fleuve s’élargit et la vitesse de l’écoulement faiblit, provoquant un dépôt d’érosion. Cette quantité d’eau fraîche nécessiterait un savant système de filtration par oxydation, et un autre qui assurerait la gestion des déchets pollués à l’arsenic. Ce sont des infrastructures extrêmement coûteuses qui demanderaient l’appui d’une coopération internationale.

Concernant l’aide internationale, Bruno Nguyen, en charge des problèmes de l’Eau à l’Unesco, se veut prudent. Pour lui, « il ne faut pas surestimer son apport. Si elle est très utile par son rôle de catalyseur et de facilitateur, elle ne représente toutefois qu’environ 5%, de l’aide globale, mais elle est en augmentation. » Et Gérard Payen de surenchérir : « L’aide internationale n’est pas la réponse, c’est une des réponses ! Ceux qui sont responsables, ce sont les pays et les autorités locales. Ce sont eux qui décident du financement : la contribution demandée aux utilisateurs, les subventions publiques et le montant de l’aide internationale. »

 

La réponse par le local

Comme tous les problèmes sanitaires, le volet politique prend une part très importante pour leur résolution. Bot Pao, du bureau d’administration hydrologique du Banteay Mancheay assure que la situation est prise très au sérieux, d’autant plus que la province manque d’eau depuis des années. En 2016, la sécheresse frappant de nouveau, il a fallu trouver des parades. « Nous avons construit un canal beaucoup plus important, de huit kilomètres pour un budget de 200 000 dollars US, qui a pour but de résoudre le problème dans le district. Nous faisons aussi des travaux d’agrandissement des mares pour diversifier et améliorer les stocks d’eau. On estime qu’il y a 10 à 15 millions de mètres cubes d’eau par mare, pour un total de quarante-deux mares dans toute la province dont 40% ont déjà été rénovées. Pour les villages qui ne peuvent pas encore bénéficier de ces politiques, nous apportons de l’eau potable en camion citerne. »

Les filtres en céramique, un moyen économique et durable pour obtenir de l'eau potable ©Matthieu Delaunay
Les filtres en céramique, un moyen économique et durable pour obtenir de l’eau potable ©Matthieu Delaunay

1001 Fontaines est une association cofondée par Chay Lo, un Cambodgien qui a poursuivi un brillant cursus d’études supérieures en France, soutenu par Enfants du Mékong. Face au drame de la pauvreté que traverse son peuple, épaulé par Virginie Legrand et François Jacquenoud, Chay Lo a imaginé en 2004, un système stimulant l’entreprenariat local et proposant une auto suffisance en eau pour un prix dérisoire. Dans un petit village à plusieurs kilomètres de Battambang, la station d’épuration est à l’œuvre/ tourne. Chay Lo en explique le fonctionnement : « L’eau est pompée dans la mare qu’on amène ensuite dans de grandes cuves en béton. Là, nous séparons l’eau des matières en suspension avec du sulfate d’aluminium. Ensuite on envoie l’eau vers le filtre à sable, puis à travers du charbon actif qui enlèvera l’odeur. L’eau traverse ensuite une série de microfiltrations. Elle est enfin désinfectée par une lampe à ultra violets qui va détruire l’ADN des micro-organismes ou des bactéries. »

Les matériaux utilisés demandent peu d’entretien. Les filtres à charbon doivent être changés tous les deux ans et les lampes à ultra-violets sont reliées à des panneaux solaires. Au final, la bombonne de 20 litres, réutilisable, est vendue à 30 centimes de dollars. L’association travaille avec les conseils communaux à qui elle apporte une expertise et un budget pour construire le bâtiment et l’équiper. En contrepartie la communauté locale doit fournir gratuitement le terrain. Un comité gestionnaire se chargera du recrutement d’un entrepreneur. Le salaire légal moyen au Cambodge avoisine les 130 dollars par mois, mais beaucoup de familles ne dépassent pas les trois dollars de revenu par jour. Chez 1001 Fontaines, on compte en général deux ou trois personnes par station qui gagnent chacune entre 120 et 300 dollars par mois. Une différence et une stabilité de salaire notables. Une solution simple et claire, comme de l’eau de roche. Ou de l’eau potable.

 

Matthieu Delaunay