Hmongs dans la brume

Site touristique emblématique du Vietnam, les célèbres rizières en terrasse de Sapa attirent des milliers de visiteurs chaque année. Pourtant, dans l’indifférence générale, de nombreuses adolescentes Hmongs sont encore contraintes de choisir entre l’école et leur famille naissante. Enquête.

Au milieu de la foule, l’allure d’une jeune fille contraste avec celle des autres femmes habillées en tenue traditionnelle. Sung Thi Dua porte dans ses bras un enfant replet de 5 mois. Elle est tombée enceinte à 14 ans. Son compagnon et elle attendent pour se marier l’âge légal : 18 ans pour la fille et 21 ans pour le garçon. Mais aux yeux du village, ils sont mariés. C’est une vieille tradition Hmong : quand un homme veut épouser une jeune fille, il l’invite à venir habiter chez lui. Le mariage Hmong n’implique pas plus de cérémonie qu’un grand banquet organisé pour tout le village.

Sung Thi Sang a 15 ans elle aussi. Elle habite la maison voisine de Sung Thi Dua. Sous sa tenue traditionnelle, un ventre rond. L’adolescente est enceinte de 7 mois. Elle s’est mariée peu avant avec Lo A Lu.  Aussi, ses beaux-parents ont-ils dû vendre leur unique buffle et emprunter 80 kilos de viande de cochon, 40 poulets et 40 litres d’alcool de riz pour célébrer la noce. Dans un temps pas si lointain, la tradition voulait que l’homme enlève la femme et la séquestre trois jours durant chez lui. À la fin des trois jours, la femme pouvait ou non choisir de rester et d’épouser son prétendant. Cette tradition qui demeure vive dans les esprits des jeunes n’a plus cours aujourd’hui à quelques rares exceptions. Mais comme Sung Thi Dua ou Sung Thi Sang, de nombreuses adolescentes se marient et tombent enceintes très jeunes.

Dans les montagnes de Sapa, les jeunes mères de famille en costume traditionnel s’occupent de leurs enfants et guident de temps à autre les touristes dans la montagne.

PRÉCARITÉ ET TOURISME

« Nous devons nous adapter. Il faut faire le tri entre les coutumes qui sont constitutives de notre identité et celles qu’il nous faut abandonner. »

Le visage rond et avenant, Joseph arbore une casquette plate et porte un manteau en laine. Un look très occidental pour ce trentenaire au parcours exceptionnel, fils du pays, originaire de la vallée de Muong Hoa. « Dans mon village, je suis le premier à être allé à l’université ! » annonce-t-il souriant. Joseph est également l’un des premiers Hmong à avoir ouvert un hôtel destiné aux touristes dans la ville de Sapa.

« Je veux créer un lieu où les touristes pourront découvrir notre culture et notre artisanat. Tous mes employés sont Hmong. »

LE PARADOXE SAPA

L’activité touristique de la ville repose en grande partie sur l’attractivité des ethnies de la région. Les touristes sont friands de guides costumés qui peuvent les emmener dans les montagnes découvrir la région, ce qui est une source d’argent facile pour les familles dans le besoin.

« Cela reste cependant une activité précaire qui ne permet aucune épargne, n’offre aucune sécurité et dont les enfants sont les premières victimes, met en garde madame Oanh, une institutrice à la retraite. Les enfants doivent aider aux tâches ménagères et se garder entre eux. Cela les conduit très souvent à manquer l’école. Il arrive aussi que les enfants soient utilisés par leurs parents pour vendre de l’artisanat aux touristes. »

Dès 3 ans, certaines petites filles, habillées en costume traditionnel, passent leurs journées assises sur les marches froides de la place de Sapa devant quelques breloques.

« Pour moi l’instruction est la clé : c’est grâce à ma soif d’apprendre que j’ai pu changer ma vie. » Joseph n’était pourtant pas destiné à travailler dans le tourisme. Après avoir étudié la musique à Hanoï, il rentre dans ses montagnes et obtient rapidement un poste d’enseignant. Il se retrouve confronté à un quotidien étouffant : un père malade, des collègues qui ne font que jouer et boire, et l’impossibilité d’aider ses deux frères et trois sœurs faute d’un salaire suffisant. Il décide de changer de vie. Son salut passera par l’apprentissage de l’anglais. D’abord sur Youtube en écoutant les chansons de Jack Hope, puis dans les hôtels où il parvient à se faire embaucher. Le salaire est dérisoire mais il y saisit toutes les opportunités pour pratiquer la langue de Shakespeare. Aujourd’hui, Joseph est endetté mais confiant. Sa stratégie commerciale suit la mode et correspond aux attentes des touristes occidentaux.  Il propose une expérience d’éco- tourisme dans un cadre magnifique et met en avant un projet pour impliquer au maximum sa communauté. : « Tout le monde est pauvre dans mon village.  Je veux changer cela. »

Encore quelques minutes et, avec le soleil couchant, le dragon de brume qui ne quitte jamais les hauteurs de Sapa viendra recouvrir de son corps cotonneux les dernières lueurs. Chez elles, Sung Thi Dua et Chang Thi Giang bercent leurs bébés, Sung Thi Sang caresse son ventre rond. Déjà mères, à peine des femmes. Pour elles, et pour leurs enfants surtout, l’avenir reste encore à écrire.

L’école n’est pas seulement une chance.
C’est aussi un moyen de sauver des vies.

Un enfant dont la mère sait lire ou écrire a 50% de chances supplémentaires de survivre après l’âge de 5 ans.

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