Sreyyen : une ancienne filleule dans les écoles françaises
Ancienne filleule d’Enfants du Mékong, Sreyyen, jeune professeure de français au Cambodge a délaissé pour un an son pays pour venir à la rencontre des écoliers français et leur raconter son histoire.Dans le cadre d’un volontariat de réciprocité, elle a décidé de rendre un peu de ce qu’elle a reçu et de réaliser son rêve loin des siens.
Texte et photos : Antoine Besson
La sonnerie de l’école Notre-Dame des Oiseaux à Verneuil-sur-Seine en région parisienne retentit tandis que les élèves prennent place dans la classe de 5ème. Au tableau, le visage d’une petite écolière cambodgienne tout sourire leur fait face. À côté, c’est Huot Sreyyen, jeune fille de 25 ans qui se tient aux côtés de Marie Dufourcq, professeure principale. Sreyyen vient du même pays que la petite fille au tableau et s’exprime dans un français fluide. Tout sourire, elle s’adresse aux enfants : « Si je suis ici, c’est parce que quand j’étais plus jeune que vous, en CM2, j’ai rencontré l’association Enfants du Mékong !».
UNE PETITE FILLE TENACE
L’histoire de Sreyyen est relativement commune dans la province du BanteayMeanchey d’où elle est originaire, à proximité de la frontière avec la Thaïlande dans le nord du Cambodge. « Dans ma famille, je suis la dernière de cinq filles et ma maman n’a jamais appris à lire », explique-t-elle devant des élèves attentifs pour qu’ils comprennent sa situation. Aucune de ses quatre sœurs n’a dépassé le collège, à 10 kilomètres du village natal : trop loin pour persévérer.« La plupart du temps, les filles qui abandonnent l’école se marient vite et partent travailler très tôt. » Ce fut le cas de ses sœurs, parties en Thaïlande dans des emplois de vente de rue où à l’usine. « Moi, je ne voulais pas de cette vie, je voulais étudier pour être libre », explique Sreyyen avec un sourire timide, comme pour excuser l’audace dont elle a su faire preuve. C’est alors qu’elle découvre l’existence d’un centre de l’association Enfants du Mékong qui héberge les collégiens et les lycéens à Sisophon pour les rapprocher de l’école et réduire leurs frais de transport. Avec deux amies, Sreyyen postule, passe le concours et est admise au foyer et parrainée. « J’étais tellement excitée que j’ai préparé ma valise une semaine avant mon départ », confie la jeune fille.
UN FUTUR POUR TOUTE LA FAMILLE
Quelques années plus tard, Sreyyen s’affirme au Centre, se fait des amis, se plie aux exigences de la vie en communauté et grandit en s’adaptant aux autres, trop heureuse de réaliser ce qu’aucune de ses sœurs n’a réussi jusqu’alors : mener une scolarité jusqu’au bout grâce à sa marraine, sans souci d’argent. Bientôt la réussite de la cadette devientla fierté de toute la famille : « Lorsque j’ai eu mon baccalauréat, toutes mes sœurs étaient très fières de moi ! » Pour la petite fille qui rêvait de l’école malgré les échecs et les difficultés qui l’entouraient, ce premier diplôme est une revanche sur la vie.
Mais Sreyyen ne compte pas s’arrêter là. « Je suis la plus petite mais dans ma famille, je suis devenue un exemple, mes sœurs veulent que leurs enfants suivent le même parcours que moi et puissent eux aussi faire des études.»
Grâce à Sreyyen, les mentalités de son entourage ont changé ainsi que la vision de l’école. Ce n’est plus une perte de temps mais bien la promesse d’un meilleur futur. Car la jeune fille déterminée ne s’est pas contentée d’un seul diplôme. Passionnée de français, « cette langue aux sonorités si agréables à entendre », elle entreprend des études à l’Institut des langues étrangères de Phnom Penh, la capitale du pays. Là encore, c’est Enfants du Mékong qui assure les conditions matérielles de ses études grâce au Centre Docteur Christophe Mérieux qui accueille les étudiants post-bac que le parcours universitaire conduit à Phnom Penh. « Cette fois-ci, j’ai un peu plus souffert du dépaysement, confie l’ancienne étudiante, je me suis retrouvée plongée en pleine ville et cela n’avait rien à voir avec l’insouciance de mes années de collège ou de lycée. Mais les difficultés ne me faisaient pas peur et je suis restée fidèle à mon rêve !» Le rêve de Sreyyen, ce serait d’enseigner le Françaiset qui sait, un jour, de partir découvrir la France de ses propres yeux. Mais pour l’heure, il faut affronter le trafic à vélo et profiter de ces quelques années pour apprendre un maximum des étudiants plus âgés, en médecine ou à l’Institut Technologique du Cambodge (ITC), avec qui elle partage ses temps libres.
En 2020, Sreyyen décroche sa licence de français didactique, le Graal qui pourrait lui permettre de postuler à un poste d’enseignant. Pourtant la pandémie de Covid-19 en décide autrement. La plupart des structures d’enseignement ne recrutent plus, la majorité des cours se fait à distance et la jeune diplômée doit pourtant rapidement gagner de l’argent pour assumer les charges de la vie en ville et soulager sa famille.
Déterminée, Sreyyen saute sur une opportunité de stage dans une banque et devient guichetière. Peu de temps après, l’entreprise l’embauche comme conseillère bancaire. Sreyyen gagne désormais bien sa vie mais surtout, elle s’épanouit : « Même si ce n’était pas le métier pour lequel j’avais fait des études, j’ai aimé travailler à la banque, y apprendre de nou- velles choses et gagneren confiance en moi.» La fierté gagne également la jeune salariée capable aujourd’hui de s’assumer et d’aider ses parents à construire une maison plus décente.
ET VOUS, QUEL EST VOTRE RÊVE ?
Dans la classe de 5ème, le silence et l’attention se font plus intenses quand Sreyyen montre une photo de ce qu’était sa maison avantles travaux :quelques planches de bois et des bâches en guise de murs, quelques tôles pour le toit, tout cela installé sur un sol de terre battue.
Sreyyen, rompue à l’exercice des interventions en classe, pose une question aux élèves pour les faire participer : « Est-ce que certains d’entre vous ont un rêve ? » Quelques mains timides osent se lever : « moi je voudrais devenir joueur de rugby professionnel », ose un garçon au premier rang, « j’aimerais trouver l’amour », confie en rougissant une jeune fille. « Ce sont de très beaux rêves, commente Sreyyen, moi mon rêve c’était toujours d’enseigner le français et de voir la France et je m’y suis accrochée ! », explique-t-elle avec un grand sourire pour encourager les jeunes écoliers devant elle à suivre son exemple.
Après trois ans à la banque, Sreyyen entend parler d’une proposition de volontariat de réciprocité proposé par Enfants du Mékong. La maison de ses parents est terminée, ses neveux et nièces vont à l’école, alors la jeune femme saisit sa chance et postule. Concrètement, il s’agirait de partir comme volontaire pour l’association en France afin de rendre un peu de ce qu’elle a reçu en se mettant au service d’un projet nommé J’ai un rêve. «En septembre 2023, je suis arrivée en France très stressée», confie celle qui s’est depuis parfaitement acclimatée à sa vie parisienne. Rapidement, on lui confie que sa mission sera de témoigner en public de son parcours et de ce que l’accès à l’instruction a changé dans sa vie. Et sa première intervention aura lieu le lendemain de son arrivée en France. Sreyyen n’entend alors qu’une chose : il va falloir dépasser sa timidité et vite. «Toute la nuit, j’ai prié pour y arriver et trouver en moi la force de dépasser les difficultés. » Au début, l’exercice semble bizarre à la jeune Cambodgienne qui ne connaît pas encore très bien la France : pourquoi est-ce si intéressant de parler de son parcours et en particulier aux jeunes et aux enfants ? Et puis un jour, tout prend son sens. À la fin d’une intervention dans une école, un enfant lui laisse un mot sur lequel il a écrit : « Je suis un enfant adopté qui vient d’un autre pays mais aujourd’hui j’ai compris pourquoi ma maman biologique m’a abandonné : c’est pour que j’aie la chance d’aller à l’école !».
Sreyyen est encore un peu émue quand elle raconte cela : « En fait j’ai compris que les enfants français n’ont pas toujours conscience de la chance qu’est l’école parce qu’ils n’ont pas connu les obsta– cles que nous avons au Cambodge. Leur situation à bien des égards est plus facile que la nôtre. Alors mon rôle est de leur faire découvrir qu’il existe d’autres mondes où tout n’est pas aussi facile.»
UNE RENCONTRE QUI CHANGE TOUT
Après 10000 écoliers rencontrés dans plus de 80 établissements en un an, Sreyyen s’apprête désormais à retourner au Cambodge. L’heure est au bilan et la jeune femme commence à regarder vers l’avenir. Riche de cette nouvelle expérience dans les écoles, Sreyyen espère réaliser définitivement son rêve à son retour à Phnom Penh : trouver une place pour enseigner le français.
En attendant, elle tire les conclusions de son année scolaire en France : « J’ai beaucoup aimé intervenir, en particulier dans les classes les plus petites parce que les enfants osent parler sans filtre et sans peur. Certains m’ont demandé : ‘ Pourquoi nos parents gagnent plus d’argent ? ’’ D’autres m’ont confié : ‘ J’ai pris conscience que j’avais reçu des choses extraordinaires ’ ». Mais les rencontres ne sont pas que professionnelles : « J’ai eu la chance de rencontrer ma marraine qui m’a soutenue pendant 10 ans. Ça a été un moment très émouvant. J’ai aussi découvert à Asnières toute une équipe engagée pour que le parrainage fonctionne. On ne soupçonne pas quand on est parrainé au Cambodge, tout le travail qu’il y a derrière.»
Pour un premier voyage en dehors du Cambodge, l’expérience a été chargée en émotions et en aventures. « Je crois que ce qui m’a le plus manqué, c’est ma famille et le Nom Bang Chok, un plat de nouille et de soupe de poisson que je cuisinais avec ma mère quand j’étais petite pour ensuite le vendre dans la rue.» Pourtant, les souvenirs sont heureux pour celle qui confie que si les Français ne sont pas aussi souriants qu’elle le croyait, ceux qui travaillent à Asnières sont particulièrement joyeux, organisés et ponctuels… « pas comme au Cambodge !»
Sreyyen termine sa présentation devant la classe. L’intervention aura duré une heure. Quelques élèves se précipitent à la cantine, d’autres viennent la remercier : Sreyyen n’a que le temps de lancer à la cantonade un joyeux : «Alors n’oubliez pas que, quoiqu’il arrive, l’école est une chance !» Nul ne sait si ces mots ont été entendus et comment. Une seule chose est certaine : au Cambodge, une petite fille a un jour rêvé de rentrer au collège pour aller plus loin que ses sœurs. Des années plus tard, ce rêve l’a conduite à des milliers de kilomètres de là, dans un collège de Verneuil-sur-Seine. Et demain ? Tant que Sreyyen croira en ses rêves, rien n’est impossible !
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