REGARDS SUR L’ASIE : Itinéraire d’un jeune Kachin

Dans le nord de la Birmanie, un jeune Kachin de 28 ans sillonne les routes à la rencontre de vos filleuls. Derrière son histoire touchante qui ressemble à celle de milliers d’enfants birmans, le jeune John fait le récit de sa détermination, de son altruisme et de sa résilience. Autant de qualités indispensables pour espérer encore en l’avenir en Birmanie. Rencontre.

Dans le nord de la Birmanie, un jeune Kachin de 28 ans sillonne les routes à la rencontre de vos filleuls. Derrière son histoire touchante qui ressemble à celle de milliers d’enfants birmans, le jeune John fait le récit de sa détermination, de son altruisme et de sa résilience. Autant de qualités indispensables pour espérer encore en l’avenir en Birmanie. Rencontre.

 

TEXTE : ANNE MONMOTON – ILLUSTRATIONS : CANVA

Itinéraire d’un jeune Kachin

John vit dans un pays en guerre. Pourtant, dans son discours, rien de belliqueux. C’est un homme de cœur avant tout et cela se voit dans son regard franc. Loin des bombardements, dans l’atmosphère préservée de Rangoun, la capitale économique, il évoque avec simplicité et pudeur son parcours jusqu’à sa rencontre avec l’association Enfants du Mékong pour laquelle il travaille aujourd’hui.

En cette fin d’année, l’équipe en place termine quelques jours de formation. Chacun partage spontanément ses joies et ses difficultés dans sa mission. Depuis près d’un an, John est coordinateur local, pour la partie nord du pays. Avec deux autres volontaires chargés des régions du Centre et du Sud, il a pris la suite des Bambous français qui ne peuvent plus séjourner dans le pays, à cause de la situation politique. Ils assurent donc à leur place le suivi des programmes et la communication auprès des parrains. À la rencontre des responsables de programme, John passe quelques jours avec chacun, répond à leurs questions, visite les filleuls dans leurs familles ou bien partage le quotidien des enfants dans leurs foyers. « J’aime mon job ! », explique-t-il avec candeur. Il lui permet de voir du pays, rencontrer de nouvelles personnes et surtout, d’aider des jeunes touchés par la pauvreté à accéder à l’éducation. « Je suis vraiment reconnaissant et motivé après cette formation. Je suis fier de ce que je fais ! », poursuit-il. Et c’est vrai qu’on perçoit l’accomplissement de soi dans le service, au travers de ce jeune homme de 28 ans, avenant et dégageant une autorité naturelle. John est d’autant plus heureux d’aider ces jeunes à poursuivre leurs études, qu’il n’a pas eu cette chance.

UNE ENFANCE PRÉCAIRE

Né dans la ville minière de Hpakant, centre névralgique du commerce de pierres précieuses, il grandit seul avec son petit frère et sa mère. Son père d’origine chinoise et de tradition bouddhiste, dont c’est le deuxième mariage, quitte sa mère quand John a seulement quatre ans, la laissant seule subvenir à l’éducation de ses deux enfants.

Dans les années qui suivent, John le rencontre seulement de temps en temps, alors qu’il vit désormais plus au Sud, à Mandalay, avec ses cinq demi-sœurs plus âgées. Les conditions précaires de son enfance font naître en lui le désir de devenir ingénieur pour avoir son propre toit : « À l’âge de 9 ans, ma mère m’a suggéré de devenir docteur. Je lui ai répondu que je voulais devenir ingénieur pour construire notre propre maison ». Un rêve auquel il devra renoncer faute de moyens financiers, alors qu’il remplit les pré-requis pour rentrer dans la filière en fin de lycée. Rigoureux et observateur, conversant facilement avec ses interlocuteurs et pragmatique dans son approche de la gestion des programmes, on l’imagine aisément dans ce métier de conception-production.

 

   Les Kachin sont très fiers de leurs traditions, langue, culture,       identité…

 

 

John s’anime quand il évoque sa vie bien remplie. Sa mère – d’origine Kachin et catholique comme la plupart des membres de cette ethnie minoritaire – décède, quand il n’est encore qu’un adolescent. Mais les choix qu’elle a faits pour ses fils s’avèrent déterminants pour leur vie future. Représentant seulement 2% de la population birmane, les Kachin sont très fiers de leurs traditions, langue, culture, identité et des ressources naturelles dont leur région regorge (pierres précieuses et bois notamment). Transmettre les traditions Kachin est donc une priorité et un devoir. Quand il est confié par sa tante sur les recommandations de sa mère, avec son petit frère, au foyer catholique Saint-Patrick de Hpakant, l’objectif est d’éviter que le père récupère ses enfants – comme il est de mise dans les familles séparées en Birmanie – et qu’il ne les élève loin des traditions Kachin et de leur foi.

En plus de pratiquer sa langue d’origine et de s’approprier sa culture, John s’épanouit au foyer, se fait des amis et découvre – tout comme les nombreux autres garçons et filles accueillis à la mission – les bienfaits de l’éducation en foyer d’accueil. Il a la chance de recevoir une instruction, de fortifier son caractère en étant accompagné personnellement et de pouvoir construire sa vie future sur des bases solides. À le voir intéragir avec les jeunes lorsqu’il est en visite dans les foyers, on perçoit qu’il en garde un bon souvenir.

 

 

 

UN RÊVE CONTRARIÉ

Revenant à son rêve d’enfant de devenir ingénieur, à peine quelques regrets affleurent. La vie a contrarié son objectif mais sa capacité à rebondir et à composer avec les obstacles s’en est trouvée renforcée. En dernière année de lycée, John a réussi l’examen de fin d’études secondaires (le très sélectif Matriculation Exam) et choisit « de suivre son rêve, parce que j’avais le choix de pouvoir m’engager dans cette filière ». Il a pu s’inscrire en études d’ingénieur au « College Technique General » pour sept années. Tout était prêt pour que son rêve se concrétise mais il réalisa alors qu’il était sans ressource et ne pourrait jamais aller au bout de ses études sans aide extérieure : « J’ai dû stopper mon rêve, je n’avais pas le choix ».

Conseillé par un éducateur qui lui affirme qu’en maîtrisant la langue anglaise, beaucoup d’opportunités s’ouvriront à lui, il part apprendre l’anglais à Rangoun puis la comptabilité. Il est soutenu financièrement par un de ses beaux-frères qui tient un commerce de pièces détachées pour motos et pour qui il travaillera ensuite gratuitement pendant quatre ans. En parallèle, il s’inscrit à l’université à distance en philosophie à Myitkinia, filière peu prisée dont le diplôme est facile à obtenir. John travaille plusieurs années en famille, circulant dans toute la région du Centre pour le compte de son beau-frère. Son sens du contact et son abord facile, sa fiabilité et sa rigueur, son enthousiasme sont très appréciés et le rendent précieux dans l’entreprise. Mais lui-même « aimant rencontrer des personnes nouvelles et découvrir de nouveaux lieux » veut se mettre à son compte et lancer sa propre affaire de vente de pièces détachées.

Il retourne à Hpakant en 2022 et lance un petit business dont le nom « Double Scorpion Company » devait être gage de prospérité. Le coup d’État en février 2021 et les troubles qui suivent auront raison de son esprit entrepreneurial. Il doit arrêter pour raison de sécurité quelques mois après, ne pouvant plus se déplacer face au danger des bandes de pillards et des affrontements.

RENDRE CE QU’IL A REÇU

 À cette date, John choisit de répondre à l’appel du père James Zung Ding, son mentor alors responsable du foyer Saint-Patrick. « Je voulais devenir volontaire et rendre ce que j’avais reçu ; cela m’a rendu heureux de pouvoir partager parce que j’ai beaucoup reçu au foyer ».

À nouveau bénévolement, il enseigne l’anglais aux collégiens et lycéens et les accompagne au quotidien. Il est heureux d’offrir un repère à ces adolescents en quête d’eux-mêmes et n’a pas son pareil pour se mettre à leur écoute, trouver les mots qu’il faut, avoir l’attitude qui fait grandir, leur donner confiance en eux et poser les choix orientant leur vie future. « J’ai partagé mon expérience, ma formation, mes jobs… Comment je me suis frayé un chemin » se remémore-t-il, légèrement nostalgique.

En 2024, il croise Sœur Rita, rencontrée lors de ses études d’anglais à Rangoun, Kachin comme lui, et responsable de programme pour Enfants du Mékong. Elle le recommande pour le poste de coordinateur local. Il saisit cette opportunité et sillonne le nord du pays, se rendant dans des lieux excentrés pour rencontrer ceux qui n’auraient jamais eu la chance d’être soutenus sans l’association.

 

 

 

 

Sa serviabilité auprès des responsables de programme, son sens du contact, la disponibilité dont il fait preuve pour les former et répondre à leurs questions le font apprécier de tous. Il n’y a qu’à entendre les retours spontanés pour s’en convaincre. « C’était une de mes aspirations d’aider ceux qui veulent aller à l’école. Maintenant que j’en ai l’opportunité, je veux la partager pour que d’autres aient cette même chance. Et pour la suite, malgré la situation de mon pays, j’espère pouvoir aider plus et mieux, autant que possible », affirme-t-il avec détermination, en guise de conclusion aux autres membres de l’équipe. Un silence d’approbation s’en suit.

Certains ajoutent quelques mots pour signifier que ce parcours leur est familier. La boucle est bouclée : le rêve contrarié d’un jeune adolescent est devenu le tremplin d’une vie prise en main et mise au service du rêve des autres. L’illustration que les pauvres peuvent être des modèles de responsabilité de leur communauté est faite. Ce que John a reçu, il veut que d’autres en bénéficient et ce qu’il n’a pas eu, il veut que grâce à lui, d’autres en profitent. À l’heure où son pays est déchiré par une guerre civile provoquée par une junte militaire qui se refuse à partager son pouvoir et ses richesses, son témoignage résonne comme un défi.

Cela m’a rendu heureux de pouvoir partager, parce que j’ai beaucoup reçu au foyer.

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Antoine Besson
Antoine Besson Rédacteur en chef du magazine Asie Reportages Contact