Concrètement dans les villages du plateau des Bolovens, au sud du pays, cela se traduit par une désertion des écoles dès que les enfants sont en âge de travailler. Et cela commence de plus en plus tôt.
Ossa a 6 ans. Elle est en CE1, mais elle ne sait ni lire ni écrire. Dans l’école primaire de son village, une quarantaine d’enfants sont réunis autour d’une seule maîtresse qui enseigne tous les niveaux. Dévouée, la jeune femme est cependant dépassée et le reconnaît elle-même : «C’est impossible de faire en sorte que les enfants apprennent ne serait-ce qu’à lire ou à écrire dans ces conditions.» Au village, assise avec sa grand-mère, Ossa manipule une grande lame avec laquelle elle taille des pics en bambous qui seront vendus aux stands de brochettes de rue. 50 tas de 18 pics valent 30000 kips (1,20 euro).
Plus haut dans la montagne, deux sœurs jumelles, Alissa et Anna travaillent dans les champs de manioc, une culture encouragée par l’investisseur chinois qui peut parfois rapporter gros aux cultivateurs à court terme, mais qui est réputée pour appauvrir considérablement les sols à long terme. À 14 ans, elles persistent à aller aux collèges et font figure d’exceptions dans leur entourage : leur rêve serait d’aller à l’université pour apprendre l’anglais.
Directeur d’une guest house qui emploie régulièrement de jeunes étudiants pour les insérer dans l’industrie du tourisme, Mr Poh commente : «Les étudiants motivés sont de moins en moins nombreux. Souvent, ils voient leurs aînés s’endetter pour faire des études en ville puis rentrer au village sans emploi, ni nouvelles compétences. C’est un cercle vicieux qui bientôt va décimer notre jeunesse et nos villages!» De fait, la plupart des fonctionnaires non payés doivent cumuler des emplois pour survivre. « Les meilleurs sont les premiers à partir ! » constate amer un directeur d’école. Les professeurs n’enseignent plus leurs matières voire démissionnent pour partir travailler en Thaïlande quand ils le peuvent.
À l’instar de nombreux jeunes adultes attirés par les promesses d’emplois stables et de meilleurs salaires malgré des conditions de travail difficiles et une vie sur place plus chère qu’au Laos. Nombreux sont les camarades d’Alissa et Anna qui, du haut de leurs 14 ou 15 ans, regardent déjà de l’autre côté de la frontière rêvant du jour où ils la traverseront. Certains cependant ne franchiront jamais le pas. Car, en ces temps de crise, un autre danger guette la jeunesse oisive : la drogue. Facebook regorge d’histoires relatant des pilules de Yaba, l’amphétamine locale, moins chère que les denrées alimentaires de base dont le prix a triplé depuis l’inflation.
À Paksé, Ni Kon, un jeune père de famille, enseigne la boxe thaï dans un gymnase à quelques enfants. «J’aimerais développer cette activité y compris dans les villages reculés pour pouvoir lutter contre l’oisiveté des jeunes et éviter qu’ils ne tombent dans la drogue», explique-t-il en argumentant que la Muay thaï a été sa planche de salut : «Les valeurs de ce sport sont un antidote contre ce qui détruit le corps et l’esprit!» Sport national très en vogue en Thaïlande comme au Laos, les joueurs sont souvent rémunérés quand ils gagnent un combat. Une manière comme une autre de lutter contre la précarité des familles. «Dans des combats en public, un joueur peut gagner jusqu’à 200 dollars en une victoire!» Une véritable fortune dans le contexte actuel…