L’ASIE AUTREMENT : Henri MOUHOT, messager de l’histoire

Connu des férus d’histoire mais souvent ignoré du grand public, un Montbéliardais né au début du XIXe siècle est à l’origine d’une des plus grandes sources de fascination de l’Asie du Sud-Est. S’il n’a pas à proprement dit «découvert» les temples d’Angkor, Henri MOUHOT, enfant du siècle des grandes explorations, restera cependant à jamais l’homme qui les révéla à l’Occident. Portrait d’un idéaliste que ses rêves ont béni d’une gloire posthume.

Connu des férus d’histoire mais souvent ignoré du grand public, un Montbéliardais né au début du XIXe siècle est à l’origine d’une des plus grandes sources de fascination de l’Asie du Sud-Est. S’il n’a pas à proprement dit «découvert» les temples d’Angkor, Henri MOUHOT, enfant du siècle des grandes explorations, restera cependant à jamais l’homme qui les révéla à l’Occident. Portrait d’un idéaliste que ses rêves ont béni d’une gloire posthume.

 

Texte : Antoine BESSON

 

Il est mort à 35 ans, dans une jungle du nord du Laos, en route vers les sources du Mékong. Terrassé par une fièvre tropicale, le jeune naturaliste originaire du Doubs, Henri MOUHOT, laisse, en 1861, une veuve et de nombreux écrits. Sa vie éphémère n’aura pas eu le temps de bien marquer les esprits et son nom est absent du dictionnaire. Pourtant ses carnets offriront à ce passionné acharné à réaliser ses rêves, une postérité qui lui vaudra le titre pompeux de «découvreur d’Angkor». La réalité est plus humble mais pas moins méritante. Par l’acuité de ses dessins et ses observations, Henri MOUHOT a su transmettre à tous ses contemporains qui ont lu ses écrits la fièvre de l’Asie du Sud-Est, non pas celle qui vint à bout de ses forces, mais celle qui lui fit entreprendre un voyage au bout duquel lui furent révélés merveilles et mystères.

 

UN ÉLÈVE BRILLANT

Né d’une mère institutrice et d’un père ouvrier monteur de boîte chez un horloger, Henri MOUHOT n’était pas prédestiné aux grandes explorations et encore moins au grand large. Élève brillant, il décroche lors de ses études plusieurs prix dont un de narration. Est-ce ce goût et cette prédisposition pour les arts du récit qui le pousseront à faire de sa courte existence une vie d’aventure?

Portrait d’Henri MOUHOT (1826 – 1861) jeune explorateur du XIXe siècle est à l’origine de la passion de l’Occident pour les temples d’Angkor.

 

Il décroche à la fin de ses études un poste d’enseignant à l’école militaire du Corps des Cadets de Voronej à Saint-Pétersbourg. Le jeune homme a alors 18 ans. Son exploration du monde commence ainsi, à travers les grandes terres froides de l’Est, en Russie, déjà sous le signe de l’érudition et du savoir. La guerre de Crimée qui opposera en 1853 l’Empire russe à une coalition formée par l’Empire ottoman, l’Empire français, le Royaume-Uni, et le Royaume de Sardaigne oblige le jeune MOUHOT à rentrer en France.

À 27 ans, ce passionné d’innovations et de découvertes embarque son plus jeune frère Charles dans un tour de l’Europe. Première étape, la Hollande où ils expérimentent ensemble une technologie française naissante : le daguerréotype. Un ancêtre de la photographie moderne qui permet de figer sur une plaque de cuivre recouverte d’une émulsion d’argent des images permanentes (à l’inverse des procédés photographiques antérieurs dont les images ne duraient pas dans le temps). Suivront l’Italie, l’Allemagne et l’Angleterre où les deux frères tombent sous le charme de deux sœurs, nièces de l’explorateur écossais Mungo Park, l’un des premiers Occidentaux à explorer le Niger.

Le nouveau couple MOUHOT, Henri et Ann, s’installent alors à Jersey, entre la France et l’Angleterre. Henri est-il inspiré par la destinée de cet illustre aïeul de son épouse? Était-ce à l’inverse un rêve qu’il nourrissait depuis longtemps? Nul ne sait aujourd’hui dire comment l’idée de partir à la conquête de l’Indo-Chine (comme on l’écrivait à l’époque) est montée à la tête de l’aventurier Montbéliardais. Toujours est-il que l’Europe ne lui suffit plus. Sur son île de la Manche, il affine ses connaissances en sciences naturelles et tout spécialement en ornithologie et en conchyliologie. Il se présente désormais comme naturaliste ou entomologiste et mûrit un projet d’expédition dans les terres du Siam, du Cambodge et du Laos à la découverte des rives du Mékong.

UNE NOUVELLE AVENTURE AMBITIEUSE

Le XIX e devient à cette époque, dans sa seconde moitié, le siècle des explorations. Les motivations qui animent les expéditions sont multiples et souvent imbriquées. Elles sont à la fois individuelles et collectives, impliquent des institutions renommées et la plupart du temps des États qui y voient, en sus de l’intérêt scientifique, une occasion rêvée d’étendre leur empire, de découvrir des matières premières précieuses, voire d’étendre leur modèle civilisationnel. C’est ce que l’histoire retiendra plus tard comme l’expansion coloniale européenne qui débute en 1820 et prendra fin avec la Seconde Guerre mondiale.

Le projet d’Henri MOUHOT ne semble cependant pas avoir bénéficié de ce contexte historique porteur. En effet son expédition vise une région qui, pour l’heure, ne semble pas intéresser le Second Empire et ses institutions. La France de Napoléon III est concentrée sur la Chine avec laquelle elle entre en conflit (alliée à l’Angleterre, aux États-Unis et à la Russie), lors de la seconde guerre de l’opium. C’est à cette occasion que l’Empereur autorise l’amiral Charles Rigault de Genouilly à prendre position en Annam (Vietnam) et à annexer la ville de Tourane (l’actuelle Danang) en 1858, lors d’une expédition punitive suite à l’assassinat de plusieurs missionnaires chrétiens. La progression des troupes françaises est cependant difficile et sans doute cela justifiera que toutes les demandes d’exploration dans cette région soient systématiquement refusées à notre explorateur en herbe.

L’avenir donnera pourtant raison au jeune MOUHOT lorsque, plus tard, la France financera des expéditions pour explorer le Mékong, espérant ainsi trouver une percée vers les terres chinoises par le Sud.

Si MOUHOT n’est pas le seul explorateur occidental à visiter Angkor, ce sont ses dessins et gravures qui en feront la renommée en Occident.

Mais pour l’heure, le jeune naturaliste n’a d’autre choix que de se tourner vers la nation de son épouse et parvient à obtenir des lettres de recommandation de la Royal Geographical Society. Enfin reconnu par ses pairs, il peut s’embarquer à Londres à bord d’un bateau de commerce à voile. Le voyage durera 4 mois, direction Singapour, puis Bangkok.

 

C’est là que débute la toute dernière aventure d’Henri MOUHOT, la plus riche, la plus extraordinaire, la seule qui laissera une trace dans l’histoire. Car il faut reconnaître un fait étrange quand on s’intéresse à la vie de cet aventurier peu commun : partout où il passa avant son grand départ pour l’Asie, il ne laissa aucune trace. Que ce soit dans sa ville natale, Montbéliard, à Saint-Pétersbourg, à Londres ou à Jersey, nul musée, ni plaque n’indique un lieu de résidence ou une trace de son passage. La seule postérité d’Henri MOUHOT sera ses écrits sur l’Asie, et quels écrits! Il faut dire qu’à partir de son arrivée à Bangkok, capitale du Siam jusqu’à sa mort tragique au nord de Luang Prabang au Laos, Henri MOUHOT va se passionner pour ses découvertes et les peuples qu’il rencontre.

Reconnaissables entre tous, les temples d’Angkor sont des constructions monumentales en blocs de grès sculptés.

L’expédition dure plus de 3 ans, du jour de son embarquement à Londres le 27 avril 1858, à celui de sa mort le 10 novembre 1861. Entre-temps, le jeune explorateur trentenaire explore le Siam, tente d’entrer en contact avec des peuples primitifs des bords du Mékong, cherche à documenter leur vie et leur tradition tout en notant toutes ses découvertes à la plume et à la pointe sèche. Ce sont d’ailleurs ses dessins qui participeront grandement à sa postérité. Car il faut le reconnaître, si Henri MOUHOT visite bien les temples d’Angkor lors de son expédition au Cambodge et en fait un remarquable récit dans ses carnets, il est loin d’avoir été le seul Occidental à tracer un chemin dans la jungle cambodgienne pour admirer les célèbres temples.

Plusieurs explorateurs occidentaux avant lui avaient eu l’occasion d’admirer les merveilles de la cité engloutie par la jungle comme le missionnaire portugais António da Madalena au XVI e  siècle et l’explorateur français Étienne Aymonier au début du XIXe . Pourtant aucun de leurs récits n’eut le retentissement qu’aura celui d’Henri MOUHOT, publié à titre posthume, d’abord en Angleterre et en France dans la revue Le Tour du Monde, puis en livre.

 

UN HÉRITAGE CULTUREL INESTIMABLE

Alors pourquoi un tel retentissement ? Plusieurs pistes peuvent être envisagées. D’abord, la première de toutes, le récit d’Henri MOUHOT est publié, nous l’avons dit, dans une époque où l’exploration est en vogue et les goûts de ses contemporains s’en inspirent. L’orientalisme est à la mode dans la peinture et l’imaginaire collectif est prompt à se tourner vers de telles découvertes. Quelques années après la mort d’Henri MOUHOT, plusieurs expéditions inspirées par ses écrits viendront confirmer ses découvertes, enrichir notre connaissance scientifique du site et l’exposition universelle de 1889 à Paris sera même l’occasion d’une reconstitution partielle d’un temple à l’aide de moulages au Palais du Trocadéro.

Autre fait marquant de ce récit, la capacité d’Henri MOUHOT à témoigner par l’image. La qualité de ses dessins et gravures est encore aujourd’hui reconnue et le choix de ce médium permet à ses contemporains non seulement de découvrir les merveilles exotiques de l’empire khmer, mais encore de les admirer. Enfin, ajoutons au crédit d’Henri MOUHOT son art du récit et sa capacité authentique à s’émerveiller de ce qu’il découvre, qu’il s’agisse de ses rencontres ou des coutumes des civilisations qu’il parvint à observer, autant que des merveilles de la nature.

Avec ce caractère passionné qui le distingue, c’est tout un pan de l’histoire de l’Asie qui s’est révélé à nous. Un édifice magique qui inspire tous les imaginaires et abrite nombre de merveilles artistiques et mythologiques. Un trésor historique que le jeune explorateur pensa un temps façonné par une race de géants aujourd’hui disparue tant la démesure est la norme dans ces dédales de pierres taillées et ornementées.

Ainsi Henri MOUHOT, sans en être le découvreur au sens strict, fut le messager, à travers ses récits passionnés, qui permit de replacer ce site au cœur des préoccupations européennes. Grâce à lui, Angkor a cessé d’être une curiosité lointaine pour devenir un trésor mondial.

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Antoine Besson
Antoine Besson Rédacteur en chef du magazine Asie Reportages Contact