Birmanie, des nouvelles de l’intérieur du pays – 10 mars 2021

Le coup d’État militaire par le général Min Aung Hlaing en Birmanie et l’établissement du Conseil administratif d’État a eu lieu il y a un peu plus d’un mois maintenant. Suite à cet évènement qui a pris de court une grande partie de la population birmane, un mouvement massif de protestation — Civil Disobedience Movement (CDM) — qui n’était pas attendu a vu le jour.

Initié par des médecins quelques jours après l’évènement, il a été rejoint par les employés des banques, des ministères, des industries et de nombreux acteurs de la société civile (professeurs, commerçants, artisans…) entrainant une mise à l’arrêt complet du pays. Malgré la pression des autorités pour reprendre le travail, beaucoup de personnes ont abandonné leur poste pour protester et participer aux manifestations et se retrouvent sans revenus. Associé à l’impact déjà fort des restrictions sanitaires dues à la Covid-19, le mouvement de désobéissance civile renforce la précarité des familles déjà éprouvées. Ainsi entre janvier 2020 et octobre 2020, le nombre de personnes vivant avec moins de 1,90 $ par jour est passé de 16 % à 63 % de la population globale du pays. Une crise économique liée au manque de liquidité disponible vient encore s’ajouter à cela (du fait de l’absence de personnel bancaire).

La montée de la violence

 

Sr. Ann Nu Thawng a genou devant la police.

Toute les franges de la population sont mobilisées et dépassent leurs divergences habituelles dans le refus de voir s’installer les militaires de nouveau au pouvoir. La protestation rejoint toutes les catégories sociales, dont les religieux (moines bouddhistes, communautés religieuses catholiques, etc.). Les Birmans ont vécu 40 années (1962 à 2010) sous le joug des militaires et ont vu s’appauvrir leur pays qui était l’un des plus développés d’Asie du Sud-Est dans les années 1950. Après l’incroyable « ouverture » sur le monde extérieur et l’expérience d’une certaine liberté d’action et de parole vécue entre 2010 et 2020 (leur modèle démocratique n’était pas parfait mais en construction) il leur est impensable de revenir en arrière. D’où l’attitude « jusqu’auboutistes » et désespérées de certains ; ils n’ont rien à perdre.

Les manifestations massives qui ont eu lieu jusqu’à cette semaine dans toutes les grandes villes du pays du Sud au Nord et à Rangoun (point culminant le 22 février 2021 où près d’un million de personnes ont manifesté dans tout le pays) n’ont pas entrainé de violence manifeste. Depuis le week-end du 27/28 février où 23 personnes sont mortes, les militaires et les policiers agissent dans un même mouvement de répression violente. La journée du 3 mars a de nouveau été marquée par des tirs dans plusieurs quartiers de Rangoun, mais également dans d’autres parties du pays (Division de Sagaing, État Kachin, sud du pays).

Nos responsables dans tout le pays témoignent de violences : Nous ne pouvons même pas sortir. C’est pire que le Covid 19. Des fusillades ont lieu partout près de chez moi. Ils n’hésitent pas à tirer sur les enfants qui manifestent dans la rue. Nous ne savons pas comment cela va finir. Pour des raisons de sécurité, nous restons à la maison. Internet n’est pas stable non plus. No pain, no gain »

Au total 50 personnes sont mortes et plus de 1500 ont été blessées. Cette répression ouverte s’accompagne également d’actions ciblées : arrestations sommaires d’opposants dans les taxis, les bus en journée et la nuit. Près de 1500 personnes ont été arrêtées (activistes et anciens ministres notamment). 23 000 prisonniers ont été relâchés quelques jours après le coup d’État pour terroriser la population, mais cette tactique d’intimidation a eu moins d’effet qu’elle n’en avait eu en 1988.

Enjeux géopolitique en Asie du Sud Est

Les communications sont fortement perturbées : l’accès à Internet et aux réseaux sociaux est bloqué toutes les nuits de minuit à 9 heure du matin. Malgré ces tentatives de museler les Birmans, les informations circulent largement en dehors du pays.

Du point de vue international, les États de l’ASEAN n’ont pas condamné encore véritablement le coup d’État et commencent à entamer le dialogue avec les militaires. Sans cette condamnation forte que demandent les Birmans, il est peu probable que les militaires quittent le pouvoir. Les Nations unies ont condamné le coup d’État et pris des sanctions ciblées contre les intérêts des militaires aux États-Unis. YouTube a annoncé avoir bloqué 5 chaînes de diffusion tenues par les militaires. La bataille est aussi diplomatique : le représentant permanent de la Birmanie aux Nations unies, qui avait pris parti publiquement le 26 février contre la prise de pouvoir militaire et exhorté à prendre des mesures fermes contre le nouveau régime, a été licencié par les militaires, mais maintenu en poste par le CPRH (gouvernement civil écarté). La Chine via son représentant à l’ONU continue de demander le respect de la souveraineté de la Birmanie (et donc soutient implicitement les militaires).

À l’école : anticiper le décrochage scolaire

Depuis les grandes vacances de février 2020, aucune date officielle de réouverture des écoles n’a été annoncée. La rentrée scolaire qui aurait dû avoir lieu début juin 2020 n’a pas pu être organisée à cause de la crise sanitaire de la Covid-19. Seule une courte parenthèse a pu être aménagée en août 2020 pour que les écoliers retournent à l’école avant que ces dernières ne referment en septembre, lors d’une recrudescence d’infections dans le pays. Pour l’année scolaire de juin 2020 à février 2021, les enfants n’auront donc eu qu’un mois de cours.

Jeunes écoliers Birmans

Il a été question avant le coup d’État d’avancer la rentrée des classes, mais la mobilisation importante des professeurs dans le mouvement de désobéissance civile empêche effectivement de prendre une telle mesure aujourd’hui.

L’équivalent du baccalauréat, le matriculation exam qui a lieu à la fin du lycée, n’a pas non plus pu se tenir. Il était question de l’organiser en ligne fin février, mais là encore, le coup d’État a tout interrompu.

En ce qui concerne les formations professionnelles, certaines ont pu se poursuivre en ligne un certain temps pendant la crise sanitaire. Elles ont pour la plupart désormais fermé leur porte jusqu’au 15 mars. D’autres qui concernent les secteurs les plus touchés par la pandémie comme le secteur hôtelier ou la restauration n’ont pas encore annoncé de dates de reprises.

Pour anticiper les décrochages scolaires et les difficultés que nos filleuls pourraient rencontrer sur le terrain, plusieurs responsables de programme envisagent d’organiser des camps de rattrapage pendant les vacances scolaires ou organisent des activités dans les foyers qui hébergent encore des jeunes qui n’ont pas pu rentrer dans leurs familles. Ces activités nécessitent cependant un semblant de paix sociale pour pouvoir être organisées.

L’action de l’association continue malgré le contexte

Nous sommes en contact permanent avec nos responsables locaux malgré les coupures internet de nuit et recevons tous les jours des nouvelles. Tous nos responsables sur le terrain sont mobilisés pour lutter contre les injustices que la situation sanitaire et politique provoque dans le pays. Ils expriment leur colère, mais également leur fatigue face à une situation politique qui semble vouloir régresser. Tous demandent notre soutien pour tenir, à commencer par un soutien moral. Ils sont très mobilisés et édifiants de courage et de résilience.

Une de nos responsables, dont nous cachons le nom pour ne pas la mettre en difficulté, nous écrit ceci : « Chaque jour, des gens sont tués en Birmanie par la police et l’armée birmane. L’armée birmane est venue en plus grand nombre dans les villages autour de XXXX. Les combats ont lieu chaque jour dans des endroits différents. Je ne peux pas envoyer l’argent sur le terrain car les banques sont fermées. Je l’emporterai avec moi quand j’irai dans les villages. La situation devient de plus en plus difficile. Je ne sais pas comment le dire autrement, mais heureusement notre réseau peut encore fonctionner malgré la crise. »

Un nouveau foyer à Kachin Su pour des jeunes réfugiées en birmanie
Jeunes réfugiées à Kachin Suen birmanie

L’argent du parrainage (janvier & février) a été envoyé et accusé réception en Birmanie ; la distribution est évidemment plus irrégulière et parfois décalée du fait des conflits.

Correspondance : Nos responsables de programme sont heureux également de pouvoir recevoir des courriers des parrains et marraines d’Enfants du Mékong que nous leur transmettons par e-mail. Eux-mêmes continuent de faire écrire nos filleuls. Ils acheminent les lettres comme ils peuvent en profitant de taxis collectifs ou bien des bus qui circulent encore. Si vous souhaitez vous aussi les soutenir et écrire à votre filleul, n’hésitez pas à nous faire parvenir votre lettre par mail à amonmoton@enfantsdumekong.com et mgillier@enfantsdumekong.com.

Plusieurs de nos responsables de programmes ont également demandé un soutien financier pour organiser une aide alimentaire à destination des familles les plus éprouvées par les différentes crises que connait le pays et qui n’ont plus aucune ressource. Vous pouvez soutenir ce projet en faisant un don ici.

Enfin, face à ces troubles importants qui secouent leur pays, nos responsables de programme forcent notre admiration par leur résilience et leur volonté de s’impliquer toujours davantage dans le suivi des enfants, et ce malgré les épreuves et les dangers parfois. Nous voulons redire ici la chance que nous avons de pouvoir nous tenir à leur côté et à leur service.

Podacst : Actualité et coup d'état en Birmanie

Flash actu. Anne Monmoton, directrice de l’action d’Enfants du Mékong en Birmanie, revient sur la situation dans le pays un mois après le coup d’Etat de l’armée le 1er février 2021.